Créer des emplois : un outil pour renforcer l’action des coopératives d’énergie citoyenne

Pour les coopératives d’énergie citoyenne qui souhaitent changer d’échelle et pérenniser leur action, le salariat peut apparaître comme une solution. Basé sur l’expérience de 16 structures, cette ressource dresse un état des lieux, des bonnes pratiques et des points de vigilance à prendre en compte.

Ce premier panorama de l’écosystème français des coopératives d’énergies citoyennes qui ont franchi le pas de créer un ou plusieurs emplois, les différents points de vigilance et les initiatives inspirantes peuvent aider les structures désireuses de recourir au salariat pour pérenniser ou renforcer leur action à prendre du recul et affiner leur démarche.

L’impact des projets citoyens étant encore marginal au regard des enjeux de transition énergétique, augmenter la robustesse et la capacité de développement des coopératives apparaît de fait nécessaire pour créer des modèles économiques pérennes et massifier la production d’énergies citoyennes renouvelables.

Professionnalisation des coopératives : des profils différents ?

Les coopératives d’énergies citoyennes employeuses sont à plus de 68 % ancrées dans des zones rurales, avec un territoire d’action réparti à tiers égal entre l’échelle régionale, départementale et intercommunale ou PETR (Pôle d’Équilibre Territorial et Rural).

On dégage trois grands types de structures. D’abord, des structures historiques, comme 7 Vents ou Alisée créées dans les années 1990, émanant de la société civile. Ayant œuvré à la maîtrise de l’énergie et à l’information aux énergies renouvelables, elles ont développé bien après leur création une activité concernant les énergies citoyennes (ainsi, Alisée a créé Cowatt en 2017).

Ensuite, des structures professionnalisées, comptant plus de dix ans d’existence, ayant structuré dès leur création ou assez rapidement leur activité et le salariat autour des énergies renouvelables citoyennes, telles Énergie citoyenne en Pays de Vilaine (EPV) et ERE 43. Ces dernières comptent un nombre de salariés importants (7 et +), principalement dédiés à la filière citoyenne.

Enfin, dans la majorité des cas, des structures jeunes, avec moins de 5 ans d’existence, construites sur une dynamique citoyenne et bénévole, qui se sont professionnalisées après la réalisation d’un ou plusieurs projets. L’expérience de création d’emploi récente de ces structures et la variété de leur typologie ne permet pas pour l’heure de dégager un modèle reproductible.

1er anniversaire de CoWatt, 2018

Une variété d’activités salariées

Il existe néanmoins une constante : la vente d’énergie ne suffit généralement pas aux coopératives pour générer une trésorerie suffisante. Il faut d’ailleurs en moyenne 3 à 4 ans pour développer de nouveaux projets, en comptant la phase d’amorçage – et de subvention – de deux ans. Les structures proposent ainsi d’autres prestations.

En premier lieu, des prestations techniques, au travers d’études de faisabilité, d’accompagnement au développement de projets ou encore de formation, notamment aux particuliers. Deuxièmement, l’animation et le conseil : accompagnement des collectivités, aide à l’émergence de collectifs locaux porteurs de projets, contrat de développement d’énergie renouvelable. Troisièmement, des groupements d’achat pour les particuliers – c’est-à-dire, une activité d’apporteur d’affaires pour un ou plusieurs installateurs.

L’ensemble des structures ont développé des activités de développement de projets d’énergie renouvelable, et la plupart proposent aussi des activités de conseil, d’animation et d’études. Les activités de formation, de développement de projet (sans investissement) et d’investissement (sans portage de projet) sont en revanche plus marginales.

Les salarié·es dans les coopératives d’énergie citoyenne : état des lieux

Le recours au salariat par certaines coopératives se traduit par l’embauche d’une ou plusieurs personnes. Dans 11 des 16 structures d’énergie renouvelable citoyenne étudiées, le salariat était un objectif de départ. Plus de 80 % des salariés des coopératives professionnelles sont en CDI, un peu plus de 15 % en CDD. La pérennité des emplois est à nuancer par le temps de travail : 36 % des salarié·es des structures sont à temps partiel, quand la moyenne nationale toutes filières confondues se situe autour de 20 %, ce qui peut traduire des besoins ne nécessitant pas un temps plein, des temps partiels choisis ou un manque de financements, selon les cas.

Les salarié·es ont un profil polyvalent et, pour chacun·e d’entre eux, exercent pas moins de quatre activités différentes liées aux projets d’énergie citoyenne renouvelable. Parmi elles, on dénombre surtout de l’animation, de la gestion de projet et des missions techniques. La rémunération des salarié·es est modeste relativement au niveau de compétences requis – 26 400 € de salaire brut en moyenne, pour un coût employeur de 34 200 €. La majorité participe aussi à la gouvernance de la structure qui les embauche.

Il est vital pour les structures d’employer des profils disposant des compétences pour s’impliquer de manière transversale dans leurs différentes activités. Le choix d’un salarié est donc crucial, en raison non seulement de son rôle stratégique mais aussi des coûts à supporter – la grande majorité des structures portant elles-mêmes leur(s) salarié·e(s).

Si embaucher un·e bénévole apparaît instinctivement comme le bon choix, il doit être soumis à réflexion. Les coopératives ne doivent pas faire l’économie de la création d’une fiche de poste (afin de bien distribuer les rôles entre employés et bénévoles). Plusieurs structures se sont appuyées sur des dispositifs de conseil à l’embauche afin d’être accompagnées dans le recrutement de leur(s) employé(s), par exemple la CRESS, un incubateur, le DLA (Dispositif Local d’Accompagnement) ou encore un cabinet comptable.

Le poids des subventions dans le modèle économique

Le modèle économique des coopératives citoyennes employeuses repose encore très largement sur les subventions, particulièrement dans leurs premières années. C’est l’un des grands enseignements des initiatives existantes : un soutien au démarrage est primordial.

En moyenne, les subventions s’élèvent à 30 000 € par an durant deux ans. Elles proviennent pour un tiers de l’ADEME, pour un tiers de Régions et pour le dernier tiers des collectivités locales, de l’Union Européenne, des départements et financeurs divers. Des fonds notamment utilisés pour financer en partie leur salarié – c’est le cas de 75 % des structures, complété par les revenus des prestations (50 % des structures), de la vente d’énergie (33 %) ou d’autres moyens comme des emplois aidés (20 % des structures). L’une des structures interrogées a dû se séparer de son salarié une fois la période de financement finie. Il faut en effet trois à quatre ans pour développer de nouveaux projets et la période post-financement peut s’avérer critique.

Seules quelques coopératives (comme ERE 43, Combrailles Durables, EPV et Lum Del Larzac) se passent actuellement de subventions et financent leurs postes salariés via la vente d’énergie. Leur point commun est d’être en moyenne plus ancienne que les autres et d’avoir ainsi eu le temps de devenir rentables.

Il est probable que les subventions indirectes ne soient pas négligeables dans les revenus des structures, lorsqu’elles deviennent prestataires pour une collectivité qui bénéficie elle-même d’une subvention pour financer la prestation en question – c’est, par exemple, le cas d’ERE 43. Le poids des subventions dans le modèle économique des coopératives employeuses pose évidemment la question de leur rentabilité à terme : faire en sorte que les subventions, passée la phase d’amorçage, soient un bonus et non plus le poumon d’une structure est une nécessité pour changer d’échelle.

Adopter une posture entrepreneuriale : l’exemple de DWATTS

Logo de la SCIC Dwatts

DWATTS, SCIC basée sur le territoire Biovallée dans la Drôme, a adopté dès les prémisses une posture entrepreneuriale, et pour cause : elle a été fondée par une personne souhaitant vivre de son activité. Son expérience peut offrir des pistes de réflexion et d’action à d’autres coopératives.

L’exploitation des centrales photovoltaïques ne permettant pas à DWATTS de salarier quelqu’un au début, les budgets alloués habituellement aux bureaux d’étude ont été internalisés : le temps passé en développement par un salarié a été comptabilisé puis amorti sur la durée de l’installation, au lieu d’être payé à un prestataire. Atout non négligeable, en tant qu’acteur d’un territoire lauréat de l’AAP Territoires d’Innovation Grande Ambition, la structure a pu bénéficier d’appuis importants sous forme d’apport en capital et d’une subvention de fonctionnement de la Caisse des Dépôts.

Logo d’Impuls’ER

Les aides régionales améliorant le modèle économique global ainsi qu’un volume de projets suffisant pour atteindre une économie d’échelle ont permis ce fonctionnement – qui n’a duré qu’un temps. Suite à des difficultés, la structure a opté pour un nouveau système : ses salariés sont à présent portés par le bureau d’études Impuls’ER, une filiale partagée avec Enercoop Auvergne Rhône Alpes, qui compte 7 salariés (dont 5 à temps partiels) en tout.

Cela a notamment pour intérêt de faciliter le développement des activités de DWATTS, en diminuant les risques aux yeux des bailleurs ou des banquiers – une structure avec des employés peut avoir plus de mal à emprunter pour investir dans les toitures. On note ici deux bonnes pratiques pour soutenir son développement : la mutualisation de moyens et la filialisation.

Une des installations de Dwatts, 33 kWc à Beaumont-en-Diois
Une des installations de Dwatts, 33 kWc à Beaumont-en-Diois

La mutualisation et la filialisation comme outil de pérennisation de l’activité

La maîtrise par une seule coopérative de plusieurs métiers de la filière énergies renouvelables peut sembler un atout. Cependant, elle peut générer un manque de crédibilité dans un métier qui n’est pas l’activité principale, ou poser des difficultés pour gérer efficacement de gros chantiers. La création de filiales est alors une solution, à la fois pour optimiser son modèle (comme DWATTS) mais aussi pour apparaître comme un interlocuteur plus crédible.

ERE 43 a opté pour cette solution : tout à la fois bureau d’étude, installateur et exploitant, elle a créé la filiale Meteor pour dissocier ses différentes activités. La SCIC ERE 43 gère ainsi la commercialisation, l’exploitation et la livraison du bois, et Meteor l’installation et la maintenance des projets. La maîtrise de toute la filière est assurée, au sein de locaux partagés. Un modèle que la SCIC essaie aujourd’hui d’essaimer partout en France.

Inauguration d’une micro-chaufferie modulaire installée par Meteor, filiale d’ERE 43
Inauguration d’une micro-chaufferie modulaire installée par Meteor, filiale d’ERE 43

La mutualisation des moyens généraux – RH, juridiques, administratifs, salarié·es – entre plusieurs structures constitue un autre outil efficace de “montée en puissance”. Outre la mutualisation des coûts, elle permet la gestion de projets de plus grande envergure, offre une capacité de financement supérieure et la possibilité d’avoir des partenaires financiers, d’obtenir des taux d’intérêts bancaires plus bas, de gagner en visibilité et en crédibilité au niveau des collectivités.

Cependant des freins subsistent : différences de cultures managériales, de rythmes de développement, contraintes propres aux projets respectifs. Par ailleurs, les démarches de mutualisation supposent des moyens de coordination et d’animation au service des différents collectifs, généralement manquants dans les coopératives. De fait, si la mutualisation des salariés est largement évoquée dans l’écosystème des énergies citoyennes, peu de structures la pratiquent. Dans le cadre de son programme d’accélération, qui vise à accompagner les coopératives citoyennes dans leur développement, CoopaWatt mène une expérimentation en ce sens : le partage d’un emploi aidé entre deux coopératives, Aurance Énergie et Ouvèze Payre Énergies.

Enjeux et perspectives pour le futur

Pour Thomas Le Bris, délégué général de CoopaWatt, le premier enjeu est de faire comprendre aux coopératives citoyennes qu’une trajectoire de création d’emplois est possible. Avec un argument de taille : les créations d’emplois sont globalement des « success stories », avec très peu de cas d’échecs, grâce à un accompagnement solide et une réflexion collective poussée. Aucune structure ne pouvant en faire l’économie, cette réflexion devrait selon lui être soutenue par des subventions – les dispositifs publics n’étant actuellement pas pensés en ce sens.

De nouveaux champs de développement se profilent : grâce à des partenariats plus fréquents entre collectivités, sociétés d’économie mixte et opérateurs privés de l’énergie, certaines coopératives portent des projets de grande envergure, par exemple 5 ou 10 mégawatts (contre, en général, 9 kWc ou 36 kWc). Leur contribution étant basée sur le pilotage des projets et la prise de décision, leur impact est plus fort, tout en économisant du temps. Le changement semble en marche : « Nous avons déjà vu passer 4 ou 5 réponses d’opérateurs privés à des appels d’offres, avec 40 à 50 % de la gouvernance laissée aux acteurs citoyens. »

Le futur proche dessine aussi des perspectives nouvelles : par exemple l’autoconsommation ainsi que l’ouverture à d’autres types d’énergie (méthanisation, solaire thermique…) pour sortir du mono-modèle périlleux de la grappe photovoltaïque – car « il suffit d’un changement de réglementation sur le solaire pour être en difficulté » ; ou encore la sobriété, qu’il s’agisse d’éduquer le public ou de devenir acteur de la rénovation énergétique. Des modèles économiques moins faciles à mettre en place, nécessitant une confiance accrue des pouvoirs publics envers les coopératives, mais porteurs d’avenir.