Phébus : en 1992, la 1e centrale solaire raccordée au réseau posait les bases de l’énergie citoyenne !
14 juin 1992 : pour la première fois en France, des militant·e·s engagé·e·s contre le nucléaire et pour les énergies renouvelables raccordaient au réseau électrique une installation photovoltaïque : la centrale Phébus 1, financée par des actionnaires citoyens.
Des antinucléaires pionniers donnent le coup d’envoi de l’énergie solaire en France
Le 14 juin 1992, quelques dizaines de personnes sont rassemblées dans le jardin de Georges David et sa famille, qui vivent à Lhuis. Ce petit village de l’Ain n’est qu’à une dizaine de kilomètres du surgénérateur Superphénix, le prototype de réacteur nucléaire fonctionnant au plutonium, mis en service en 1985 à Creys-Malville.
Ces membres de l’association Phébus, créée en 1991 et qui deviendra Hespul dix ans plus tard, inaugurent la toute première installation photovoltaïque couplée au réseau électrique en France, 10 m2 de panneaux solaires totalisant à peine 1 kW de puissance.
Dans ce reportage du 14 juin 1992, Marc Jedliczka, président de Phébus et futur directeur général d’Hespul, présente la centrale solaire. Georges David, propriétaire de la toiture et gérant de l’installation, intervient également.
À cette époque, en France, pas grand monde ne croit à l’énergie solaire. Passent encore les installations autonomes d’écolos barbus, à l’instar de celle d’un certain Marc Jedliczka, qui va devenir président de Phébus et plus tard directeur général d’Hespul : sa maison trop isolée pour être connectée au réseau électrique, au fin fond de la montagne beaujolaise, a été équipée de panneaux solaires et de batteries par sa commune avec un financement européen. Mais de là à penser alimenter le réseau électrique avec le soleil !
Et pourtant, en Allemagne et en Suisse, des installations photovoltaïques couplées au réseau électrique commencent à se répandre. La confédération helvétique en compte alors une centaine ; il faut dire que là-bas, il existe déjà à cette époque un tarif d’achat préférentiel qui permet de financer les installations ! En France, il faudra attendre l’année 2000 pour une loi instaurant l’obligation d’achat par EDF de l’électricité solaire, puis 2003 pour un début d’entrée en vigueur des premiers tarifs d’achat de l’électricité solaire édictés en 2002, après de longues années de plaidoyer par… Hespul.
Comment la flamme solaire a été transmise par delà la frontière franco-suisse
Une heureuse coïncidence va allumer l’étincelle en France… En janvier 1990, ces militant·e·s rhonalpins, dont la députée européenne Verte Maguitte Dinguirard-Chichereau et Marc Jedliczka, se rendent en Roumanie, peu après la chute du dictateur Ceaucescu, pour aider les écologistes à organiser la première manifestation antinucléaire du pays. Au retour, ils veulent témoigner au 4e salon Primevère, mais trop tard pour être au programme. Un seul intervenant accepte de raccourcir sa conférence pour leur laisser du temps : Max Schneider, député suisse du canton de Genève, spécialisé dans le photovoltaïque. Il informe les Français des débuts du raccordement des installations photovoltaïques au réseau en Suisse, et offre son aide pour lancer une initiative dans l’Hexagone.
À l’automne, l’industrie nucléaire mondiale décide de se réunir à Lyon. Nos écologistes rhonalpins organisent sur plusieurs jours une contre-conférence, « Tournons la page… du nucléaire ! ». Lors de la soirée de clôture, ils décident de lancer une souscription pour financer le premier raccordement photovoltaïque au réseau. L’idée de Phébus est lancée !
La première souscription citoyenne d’actions pour produire de l’énergie renouvelable !
Une souscription est lancée pour financer le projet. En quelques semaines à peine, 100 000 francs sont collectés auprès d’une centaine de personnes de l’Ain et de Rhône-Alpes (et même au-delà, jusqu’en Belgique et en Suisse), qui achètent des actions à 500 francs. De quoi financer l’installation, et par dessus le marché l’impression d’une brochure sur l’énergie photovoltaïque !
« On allait directement à la rencontre du public, sur les marchés, les foires, dans les salons, avec nos panneaux solaires sur une remorque. On montrait qu’avec le solaire on pouvait faire tourner un ventilateur, on éduquait les gens au photovoltaïque. »
Phébus 1 : un insolent et magnifique pied de nez au surgénérateur Superphénix
Ce dimanche de 1992, les militant·e·s de Phébus lancent un véritable défi à la politique française du « tout nucléaire ».
En effet, voilà deux ans jour pour jour que Superphénix est en panne. Deux ans d’arrêt, c’est la durée au-delà de laquelle en théorie, le décret qui autorisait le réacteur à fonctionner n’existe plus sur le plan juridique… Le matin même, ils étaient à Creys-Malville pour une manifestation de « fermeture symbolique » du surgénérateur.
Pas étonnant que la préfecture ait mis six mois à enregistrer les statuts de la toute jeune association Phébus : les Renseignements Généraux ont mené l’enquête un bon moment sur ces « dangereux activistes » antinucléaires, qui non contents de s’opposer activement à l’atome depuis des années, entendent désormais démontrer concrètement qu’on peut produire de l’électricité renouvelable… et l’injecter dans le réseau électrique !
Pas étonnant non plus que les militant·e·s aient éprouvé le besoin de faire venir les médias pour faire pression sur EDF, qui traînait des pieds pour reconnaître la centrale, malgré des demandes déposées en bonne et due forme des mois auparavant !
« Georges David avait osé prêter son toit à cette expérience alors que d’autres voisins aux alentours avaient refusé de prêter le leur pour une centrale photovoltaïque sans l’autorisation requise, de peur d’être taxés d’être les terroristes qui avaient tiré au bazooka sur Superphénix en 1982. »
Il faut se souvenir, en effet, qu’en 1982, cinq roquettes avaient été tirées sur le chantier du surgénérateur, sans faire de blessé, dans le but de détruire une pièce cruciale… qui fut manquée à un mètre près. Le lendemain même de l’attentat, les CRS avaient débarqué chez Georges David, le militant non-violent, pour une perquisition approfondie et l’avaient emmené à la gendarmerie pour un interrogatoire ! (Ce n’est qu’en 2004 que l’écologiste suisse Chaïm Nissim révèlera avoir été l’auteur, avec quelques amis, de l’attentat manqué.)
Que devient l’électricité produite par Phébus ?
Particularité importante de l’installation : Phébus alimente prioritairement les habitants de la maison en électricité solaire, seul l’excédent est injecté dans le réseau. Initialement, cet excédent faisait tourner le compteur à l’envers : une excellente démonstration pédagogique !
Georges David, propriétaire du lieu et administrateur de l’association Hespul depuis 2002, explique : « La logique dominante aujourd’hui consiste à vendre à EDF, le plus cher possible, l’électricité solaire produite, et à acheter au plus bas prix possible l’électricité du réseau. La philosophie de Phébus était différente : inciter les usagers à consommer moins d’énergie pour pouvoir – en théorie – en vendre plus à EDF. » En théorie, car dans les faits, Phébus n’a jamais facturé un seul kWh à EDF, et continue d’injecter gratuitement le courant dans le réseau…
En moyenne, Phébus produit 675 kWh par an. La famille David en consomme environ 300 kWh, et l’excédent de 350 kWh est injecté dans le réseau. En 2019, l’installation fonctionne toujours normalement.
Phébus a démontré que les panneaux solaires restent performants au bout de 20 ans
En 2012, après 20 ans de fonctionnement, l’Institut National de l’Énergie Solaire (INES) a étudié les modules PV de Phébus, et montré qu’ils répondent aux garanties de puissance qu’avancent aujourd’hui les constructeurs (perte maximale de puissance de 20% sur 20 ou 25 ans). Le vieillissement des panneaux ne leur a fait perdre que 8,3 % de rendement.
Les 20 ans de Phébus en images…
Après Phébus, Hespul installe 350 toitures photovoltaïques !
Après moult débats entre les fondateurs de Phébus, il fut décidé de pérenniser l’association au-delà du succès de la centrale Phébus 1, et d’étendre les objectifs à la promotion des énergies renouvelables en général et de l’efficacité énergétique.
La réputation de l’association étant parvenue aux oreilles de la Commission Européenne, cette dernière l’incita à déposer en 1993 un projet dans le cadre de son programme de « recherche et démonstration » : « Phébus 93 » a ainsi permis d’installer une vingtaine de systèmes photovoltaïques dans une dizaine de régions.
Seule en France à réaliser ce type d’installations, jugées sans intérêt et sans avenir par beaucoup, l’association, renommée Hespul au début des années 2000 pour éviter un contentieux, poursuivit cette activité au cours de quatre programmes européens qui ont permis, en partenariat avec Sunwatt-France, une petite entreprise de Haute-Savoie, d’équiper de toitures photovoltaïques plus de 300 bâtiments, essentiellement des maisons individuelles mais aussi des logements collectifs, une radio locale et même des bâtiments municipaux.
Non seulement, Hespul installait des toitures solaires, mais formait aussi les propriétaires au photovoltaïque, les initiant au montage des capteurs, au pilotage des onduleurs, … Ainsi, en une décennie, Hespul crée progressivement une vaste communauté d’adhérents.
Hespul, un acteur clé dans la création d’Énergie Partagée
C’est encore avec un partenaire savoyard qu’Hespul va contribuer à faire bouger les lignes au tournant de la première décennie du XXIe siècle… Philippe Vachette est un « écologiste pragmatique » touche-à-tout, créateur avec Emmaüs d’une des premières déchèteries d’insertion de France, puis du cabinet de conseil en développement durable Inddigo, … En tant que premier chargé de mission « développement durable » de la Ville de Chambéry, Philippe Vachette joue un rôle clé pour la mise en service de la centrale solaire des Monts, la toute première centrale photovoltaïque de 100 kW raccordée au réseau électrique !
EDF, là encore, bloquait tout, au motif que « ça va faire sauter le réseau ». Philippe Vachette raconte : « La centrale a été finie en décembre 2004 et elle n’a été raccordée au réseau qu’en mai 2005. Pour débloquer la situation, nous avons prévu une date d’inauguration avec le Président de la Région et le Président de l’ADEME. Puis, on a dit à EDF “Voila ça y est, la date est prise !” Nous avons envoyé l’info à EDF, à Paris. Cinq jours après, le camion d’EDF arrivait pour raccorder. Avant, ils ne voulaient juste pas raccorder. » Ça vous rappelle quelque chose ?
« L’innovation, c’est de la désobéissance qui a réussi ! »
Pour pouvoir reproduire ce type d’installations, Philippe Vachette avec Inddigo, Hespul et la banque éthique La Nef, montent en 2008 un fonds d’investissement, Solaire Investissement Rhône-Alpes, alias SOLIRA, qui collecte alors 1 million d’euros. Cela permet de réaliser trois installations d’énergie renouvelable… qui rétrospectivement auront été les trois premières réalisations d’Énergie Partagée : les toitures photovoltaïques de Pic Bois, Giraud Agri Énergie et Biocoop du Mantois.
Il s’avère que d’autres acteurs oeuvrent dans le même sens : Enercoop au niveau national, Éoliennes citoyennes en Pays-de-Vilaine en Bretagne et l’ALE 08 dans les Ardennes. Une convergence se noue et un nom est donné à la nouvelle structure : Énergie Partagée ! Hespul est parmi les co-signataires de la Charte fondatrice de notre mouvement.
La suite est une autre aventure, que vous pouvez suivre dans Court-Circuit, le bulletin d’info de l’énergie citoyenne et dans notre livret « Énergie citoyenne – Mon argent agit ! ». À ce jour, Hespul est toujours représentée au sein du conseil d’administration d’Énergie Partagée Association.
Depuis Phébus 1, Hespul continue de repousser les limites du possible
Avant l’inauguration de Phébus 1 en 1992, jamais EDF n’aurait admis qu’il était possible d’injecter de l’électricité solaire dans le réseau électrique.
Et depuis lors, Hespul n’a pas cessé, tout en élargissant progressivement ses activités, de pousser les acteurs industriels et institutionnels du secteur de l’énergie dans leurs retranchements, pour les amener à « changer de logiciel » de sorte à faciliter la généralisation des principes du « triptyque négaWatt » : sobriété énergétique, efficacité énergétique et énergies renouvelables.
Après avoir développé seule la filière photovoltaïque en France jusqu’en 2001 avec l’aide de l’Union européenne, de l’ADEME et de certaines Régions qui ont subventionné les installations réalisées, Hespul a été sollicité en 2001 par l’ADEME pour faire partie du dispositif, alors tout nouveau, des Espaces Info-Énergie. Hespul a ainsi déployé son activité dans le conseil, la sensibilisation et l’éducation à l’énergie.
L’association a également continué à tirer le fil de l’énergie, en s’investissant dans la sphère du bâtiment. Hespul développe avec l’industriel IMERYS Toiture la première tuile PV française, primée au salon de la construction Batimat, qui permet l’intégration du photovoltaïque au bâti. Plus largement, Hespul intervient pour assister les maîtres d’ouvrage qui ont des projets d’intégration de panneaux photovoltaïques dans leurs constructions, au niveau du bâtiment, de l’îlot ou du quartier, comme dans le quartier de La Confluence à Lyon. L’association travaille sur de nombreuses autres thématiques, comme l’écomobilité. À partir de 2008, avec l’aide financière de l’ADEME, Hespul anime le Centre national de ressources sur le photovoltaïque, et notamment son portail web photovoltaique.info.
Hespul est également investie dans la convergence des transitions énergétique et numérique, et s’est dotée d’une équipe d’une dizaine de développeurs. Cela a permis le développement de la plateforme EPICES, un outil de supervision et de gestion des installations de production d’électricité renouvelable, utilisée et recommandée par Énergie Partagée, mais également d’outils d’aide à la décision pour les ménages dans le champ de la transition énergétique (Thermix, Eco-révoner, Evaluer-mon-devis-photovoltaïque) ou encore d’une solution logicielle multifonctions de gestion de structures de l’économie sociale et solidaire, nommée Coutosuix.
Mais pour vous faire une vision plus précise et plus complète de la vision et des actions de l’association, rien de mieux que de consulter le rapport d’activité 2018 d’Hespul. La structure pionnière du photovoltaïque y dévoile sa stratégie : « Pour réussir la transition énergétique, il faut innover via des projets R&D reposant sur une analyse poussée des problématiques et la mise en place de démonstrateurs, puis valider concrètement les solutions nouvelles en lien avec les acteurs et les territoires et enfin diffuser les résultats dans la perspective d’un réel changement d’échelle. C’est l’alliance de ces trois catégories d’actions, s’inscrivant dans un continuum temporel et s’enrichissant les unes les autres, qui a été à l’origine de la création d’Hespul et de sa réussite. »… et qui continue d’être le cap sur lequel elle garde le regard rivé !
Zoom sur la nouvelle ligne de front d’Hespul
Face aux mastodontes de l’énergie centralisée à l’ancienne, Hespul, dès son apparition avec Phébus, a joué très efficacement les mouches du coche pour infléchir la trajectoire de la politique énergétique française, parvenant à développer la filière photovoltaïque quand personne n’y croyait, à obtenir une obligation d’achat par EDF et des tarifs négociés.
Hespul ouvre régulièrement de nouveaux fronts pour faciliter et massifier l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique français à moindre coût global. Son cheval de bataille actuel : travailler (avec) ENEDIS au corps pour pousser l’opérateur de réseau à faire évoluer le réglage de ses infrastructures.
En effet, les transformateurs, qui régulent la tension sur le réseau, possèdent 3 réglages différents : les deux premiers favorisent l’accueil de nouveaux consommateurs au détriment des nouveaux producteurs. Le troisième est neutre et permet d’accueillir les nouveaux consommateurs et les nouveaux producteurs sans discrimination.
Hespul souhaiterait que les nouveaux transformateurs soient réglés par défaut sur cette position neutre et qu’une étude soit menée pour modifier le réglage des transformateurs existants, sachant qu’ils ne peuvent être réglés qu’en coupant le courant de la zone qu’ils desservent !
Par ailleurs, il existe des transformateurs dits “régleurs en charge”, qui peuvent, tout simplement, être réglés au fil de l’eau sans être mis hors tension, ce qui permet de piloter en souplesse le réseau électrique pour y absorber la production variable d’électricité générée par les énergies renouvelables.
Hespul a poussé à la roue pour conduire avec ENEDIS la toute première expérimentation en France avec un transformateur de ce type, dans le village des Haies, pionnier des Centrales Villageoises dans le cadre du projet SMAP.
En partenaire exigeant et persévérant, convaincu de la pertinence d’un réseau électrique commun comme celui dont la France s’est dotée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Hespul continue de mettre l’opérateur au défi de s’améliorer et de dépasser des stéréotypes anti-EnR d’un autre âge…
Retour aux origines d’Hespul… en vidéo !
Merci à Georges David, Marc Jedliczka et Bruno Gaiddon d’Hespul pour leur aide à la réalisation de cet article.