Construire la justice de genre dans le mouvement de l’énergie citoyenne

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Chaque année, pour la Journée internationale des droits des femmes, Rescoop valorise les initiatives des communautés énergétiques promouvant l'égalité. Cette édition partage les témoignages de femmes en Espagne, Grèce, Italie et Allemagne, engagées pour la justice de genre dans l'énergie citoyenne.

Cet article a initialement été publié en anglais le 7 mars 2025, sous le titre « Success story: We can do it! Building gender justice in the energy democracy movement », sur son site web par REScoop, la fédération européenne des communautés d’énergie, dont Énergie Partagée est membre. Traduction effectuée par Énergie Partagée.

L’énergie citoyenne est essentielle pour agir face à la crise climatique. Elle permet de donner du pouvoir aux citoyens, de dynamiser les économies locales et de redonner vie aux communautés. Les initiatives portées par les citoyens jouent un rôle important dans la transition vers un avenir énergétique 100 % renouvelable et juste. Partout en Europe, de nombreux témoignages de projets d’énergie citoyenne existent. Chez REScoop.eu, nous souhaitons mettre en avant ces réussites afin d’accélérer le mouvement vers un système plus propre et démocratique.

Fidèles à notre tradition annuelle, nous (REScoop) célébrons la Journée internationale des droits des femmes en donnant la parole aux communautés énergétiques qui œuvrent pour une transition énergétique respectueuse de l’égalité des genres. Cette année, nous nous sommes entretenus avec des femmes de notre réseau en Espagne, en Grèce, en Italie et en Allemagne pour découvrir leurs actions en faveur de la justice de genre dans le mouvement pour la démocratie énergétique.

Femmes et énergie : des inégalités qui se recoupent

En 2022, au plus fort de la crise énergétique, une enquête européenne a révélé que la part des femmes en situation de précarité énergétique avait fortement augmenté. Certaines conclusions étaient vertigineuses : 44 % des mères célibataires peinaient à payer leurs factures d’énergie. La vulnérabilité accrue des femmes face à la précarité énergétique s’explique par l’inégalité des revenus, provoquée par l’écart de rémunération entre les sexes (13 % dans l’UE) et par leur surreprésentation dans des emplois précaires et/ou à temps partiel.

Par ailleurs, les femmes restent souvent sous-représentées dans le secteur de l’énergie. Les données les plus récentes montrent qu’elles ne constituent qu’un tiers de la main-d’œuvre dans le domaine des énergies renouvelables. Si les communautés énergétiques reproduisent les inégalités de la société, leur structure démocratique offre néanmoins un potentiel de changement, et de nombreuses initiatives sont en cours pour mettre en place des structures et des processus visant à réduire l’écart entre les sexes.

Ouvrir le dialogue, changer la culture

Le travail sur la dimension de genre commence toujours par de petites initiatives pour ouvrir le dialogue, changer les perspectives et amorcer une transformation de la culture interne. Chez REScoop.eu, ces échanges ont véritablement débuté en 2017, menant progressivement à la création d’un groupe de travail sur le Pouvoir de Genre et l’Inclusion. Une déclaration d’ambition a été publiée en 2022, en huit langues, reconnaissant la pertinence des actions en faveur du genre pour la démocratie énergétique. Sara Tachelet, coordinatrice de REScoop.eu, résume ainsi : « Faire avancer l’égalité entre les sexes va au-delà de l’équité — cela peut renforcer le mouvement coopératif et accélérer la transition énergétique. »

Au sein de ce groupe de travail, les membres peuvent identifier les besoins et les défis, échanger sur les meilleures pratiques et discuter d’outils pour aider les communautés énergétiques à diversifier leur base d’adhérents et leurs modes de gouvernance. Grâce à l’expérimentation, les organisations ont tiré des enseignements surprenants, découvrant par exemple que de petits ajustements peuvent faire toute la différence. Chez REScoop.eu, l’utilisation d’un langage plus inclusif dans les processus de recrutement a, pour la première fois, permis à plus de femmes que d’hommes de postuler aux offres d’emploi.

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Chez Hyperion, la présence des femmes à des postes de responsabilité a encouragé une plus grande mobilisation féminine au sein de la communauté © Hyperion

Lever les freins à la gouvernance et à la participation

La représentation figure souvent en tête des priorités des communautés énergétiques qui souhaitent accroître leur inclusivité. Ces efforts peuvent débuter par des initiatives simples. En Espagne, par exemple, lorsque Goiener est invité à un événement, l’équipe demande combien d’intervenants masculins et féminins sont prévus. Si la parité n’est pas assurée, ils proposent des solutions, voire refusent de participer si les femmes sont sous-représentées voire absentes.

Atteindre la parité au niveau de la gouvernance est souvent un objectif central. En Grèce, Sandy Fameliari, physicienne de l’environnement chez Hyperion, a partagé leur démarche pour y parvenir : « Nous avons signé une déclaration pour l’égalité des sexes, visant un équilibre 50-50 dans nos effectifs, et nous avons activement encouragé les femmes à se présenter aux élections internes, ce qui a conduit à une représentation de 60 % de femmes au sein du Conseil d’administration et de 66 % dans le Conseil de surveillance. »

De nombreuses coopératives adoptent des lignes directrices similaires. En Italie, ènostra a approuvé en 2025 une règle électorale imposant une représentation minimale de 33 % des minorités de genre au sein du Conseil. Marianna Usuelli, responsable de la communication de la coopérative, souligne : « Si les femmes sont aujourd’hui bien représentées dans le Conseil, nous ne voulions pas que cela devienne une exception au mandat en vigueur. »

En Espagne, des formations visant à promouvoir la parité au sein du Conseil d’administration ont permis à Som Energia d’atteindre cet objectif. Mònica Gifreu, de l’équipe technique, explique : « Il est important d’informer les femmes sur les exigences liées à ces fonctions, afin qu’elles comprennent clairement l’engagement demandé. Dans des espaces non mixtes, nous abordons ouvertement leurs appréhensions et doutes liés à ces responsabilités. »

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[Esc]hola, une école dans laquelle Som Energia a participé à l’organisation en 2024, a intégré de nombreux événements sur l’inclusivité © Som Energia

Le travail sur la représentation soulève souvent la question de la disponibilité, car les études montrent continuellement que les femmes assument en grande partie les tâches ménagères et la garde des enfants. Cette réalité a conduit de nombreuses communautés énergétiques à proposer des solutions concrètes pour garantir la participation des femmes. Sandy de Hyperion partage un outil mis en place : « Nous nous assurons toujours qu’un accompagnant soit présent lors de nos assemblées, afin que les femmes, habituellement principales responsables de la garde des enfants, puissent participer en étant accompagnées de leurs enfants. » Lors d’un événement, des bénévoles de Greenpeace Grèce ont même profité de l’occasion pour organiser des activités éco-thématiques destinées aux enfants.

Concrètement pour un changement systémique : des formations par des femmes, pour des femmes

Sur un plan plus concret, Lara Track, cheffe de projet senior au sein de Netzwerk Energiewende Jetzt e.V., a présenté une nouvelle série d’ateliers sur l’énergie solaire destinés aux femmes, animés par SoLocal Energy. Lara explique l’idée : « Certains domaines de la transition énergétique, comme la technologie, l’économie ou la construction, sont souvent considérés comme des domaines masculins. Nous souhaitions créer un espace où les femmes pouvaient apprendre d’autres femmes, se sentir valorisées et être prêtes à lancer leurs propres projets. »

Ces formations ont associé des sessions théoriques sur les aspects techniques des systèmes photovoltaïques à des ateliers pratiques sur site, durant lesquels les participantes ont passé deux jours à assembler un système solaire. Un temps d’échanges approfondi a également été consacré, permettant de créer une forte communauté féminine engagée dans la transition énergétique.

Ces formations ont rencontré un succès considérable : les organisateurs ont dû refuser des inscriptions, et une nouvelle série sera annoncée en 2025. Lara témoigne : « Nous avons reçu des retours extrêmement positifs, tant pendant les ateliers qu’après leur déroulement. Les femmes ont lancé leurs propres projets, comme l’auto-construction de systèmes photovoltaïques, et ont même créé des groupes dans leur ville d’origine pour y parvenir. »

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De nombreuses participantes ont expliqué à quel point il leur était important de pouvoir apprendre auprès de modèles féminins. © Netzwerk Energiewende Jetzt e.V.

La voie à suivre

Au fil de nos échanges, plusieurs points de vue convergents se sont dégagés. Tout d’abord, le chemin vers l’égalité des sexes est long. Marianna le reconnaît ouvertement : « Les succès ne signifient pas que le travail est terminé. L’inégalité entre les sexes est un problème culturel enraciné qui nécessite une lutte constante et déterminée. » Cette vision à long terme rejoint le conseil pragmatique de Sandy : « N’ayez pas peur d’échouer — le progrès passe par l’expérimentation. Écouter les retours et chercher constamment à s’améliorer a été crucial pour forger l’identité unique de la communauté Hyperion. »

Le pragmatisme s’allie à un optimisme partagé, au fur et à mesure que les efforts portent leurs fruits et que les choses commencent à changer. En regardant en arrière sur ces années de travail, Sara nous confie : « Au cours de la dernière décennie, j’ai vu ce mouvement grandir et mûrir, et une chose ressort clairement : lorsque la diversité des voix est prise en compte dans les prises de décisions, les communautés énergétiques deviennent plus innovantes, démocratiques et résilientes. »

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REScoop.eu, est un réseau européen qui rassemble les coopératives et initiatives d’énergie citoyenne. Il œuvre pour promouvoir un modèle énergétique démocratique, durable et 100 % renouvelable en soutenant et en valorisant les projets locaux. Ce réseau facilite le partage de bonnes pratiques, favorise l’intelligence collective et contribue activement à accélérer la transition énergétique à travers l’Europe.

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