Faire son stage dans une coopérative d’énergie citoyenne ? Lilia nous raconte son expérience

Portrait de Lilia Ben Mariem

Tout juste diplômée d’école d’ingénieur, Lilia Ben Mariem a fait le choix de rejoindre une coopérative de production d‘énergie renouvelable citoyenne pour son stage de fin d’étude. Elle nous raconte son expérience et ses futurs projets après 6 mois d’immersion.

Salut Lilia, quel est ton parcours ? 

Après deux ans de prépa, je suis rentrée en école de commerce à Paris mais ça ne m’a pas plu du tout. J’ai alors passé un concours passerelle qui m’a permis de rentrer au Mines de Paris en 2021. Là bas, j’ai découvert les enjeux relatifs à la transition énergétique et ça m’a beaucoup intéressé. Des sujets comme la sobriété, l’électrification des usages et la décarbonation m’ont donné un peu d’espoir et l’envie d’approfondir. J’ai passé un trimestre au centre de mathématiques appliquées des Mines sur le campus de Sophia Antipolis où j’ai rédigé un rapport sur l’intérêt du power-to-gas en région PACA en utilisant le logiciel TIMES de modélisation. J’ai aussi eu l’occasion de découvrir les scénarios de modélisation prospective de RTE, l’ADEME ou Negawatt qui m’ont permis de prendre du recul et de découvrir les différentes stratégies de décarbonation possibles.

Tu as fait d’autres stages avant de rejoindre la coopérative Plaine Energie Citoyenne? 

J’avais fait deux stages :

  • Dans le développement de projets agrivoltaïques chez un développeur privé. J’ai beaucoup appris sur le développement de projet photovoltaïque mais aussi sur l’agriculture et cela m’a permis de travailler avec des acteur.ices que je n’aurais peut-être jamais eu l’occasion de rencontrer comme des agriculteurs ou des maires de petites communes. C’était toutefois parfois frustrant car les critères de rentabilité de l’entreprise incitent à ne développer que des “gros” projets de plus de 20 hectares sur des grandes cultures, alors que des plus petits projets peuvent être très bénéfiques pour certaines cultures.
  • Ensuite je suis allée à Bruxelles pour travailler dans un lobby des producteurs, transporteurs et  distributeurs d’électricité des pays de l’Union Européenne pendant 6 mois. Je faisais de l’analyse de données pour publier un rapport sur l’état de l’électrification de la société européenne en 2023. J’ai appris beaucoup de choses sur tous les secteurs, notamment concernant les politiques mises en place, l’avancement et les objectifs mais l’approche de la décarbonation était très libérale. C’est-à-dire qu’il n’y avait aucune remise en question du modèle de consommation globale. La sobriété est réduite au maximum et la décarbonation, une opportunité économique. Ça m’a également permis de voir les dessous de la commission européenne, de voir à quel point l’influence des lobbies est importante dans la rédaction et la modification des textes de lois.

En terminant mes études au Mines, j’ai eu l’occasion de rencontrer pas mal d’intervenant.es extérieur.es issu.es du monde de l’entreprise. La plupart venaient de grandes entreprises privées ou publiques. Nous avons surtout parlé de la décarbonation des secteurs comme l’industrie et des enjeux liés à l’électrification de la société mais je n’ai pas entendu parler d’autoconsommation collective, et très peu de solaire thermique.

Visite de la centrale sur l'école Jean Jaurès II à Epinay aux élèves de l'IUT de Saint-Denis
Visite de la centrale sur l’école Jean Jaurès II à Epinay aux élèves de l’IUT de Saint-Denis

L’autoconsommation collective ? le solaire thermique ?  C’est des trucs qui t’intéressent ? 

Oui, l’ACC c’est le fait de créer une boucle de consommation autour d’un ou plusieurs bâtiments producteurs. C’est-à-dire qu’un bâtiment va produire de l’électricité grâce à une centrale installée sur son toit, et la production totale ou le surplus qui n’est pas consommé par le bâtiment va être “envoyé” à d’autres bâtiments sélectionnés en avance pour autoconsommer le plus possible cette électricité. Le but c’est de ne pas envoyer de manière “aveugle” l’électricité produite mais de la produire pour des consommateurs. C’est très intéressant car cela permet une autogestion de sa production énergétique, la création d’une communauté énergétique ainsi que la possibilité de réduire sa facture d’électricité en consommant sur les heures bons marché d’ensoleillement ou en profitant de la mise en place d’un tarif solidaire pour les foyers défavorisés.

Pour le Solaire thermique, j’ai pu m’y former un peu et je trouve que c’est très intéressant pour les immeubles qui ont des chauffe-eau et des chauffages collectifs. Cela peut avoir un impact important sur la facture et profiter à des personnes qui ne sont pas propriétaires de leur logement !

J’ai aussi été pas mal intéressée par le modèle des kits solaires individuels qu’on peut installer chez soi ! C’est plutôt simple à mettre en place, c’est relativement peu cher et ça permet d’économiser sur la facture d’électricité, parfois jusqu’à 20% de couverture des besoins !

Mais du coup comment as-tu atterri chez Plaine Energie Citoyenne ? 
En gros Plaine Energie Citoyenne est une coopérative basée dans le nord de Paris qui réunit des bénévoles motivé.es pour développer des projets de centrales photovoltaïques sur leur territoire tout en faisant de la sensibilisation au public sur le sujet de la transition énergétique. PEC développe des projets en toiture plutôt sur des bâtiments publics et possède aujourd’hui deux centrales : une sur l’école Jean Jaurès II à Epinay-sur-Seine et une autre sur l’école Jean de la Fontaine à Saint-Ouen-sur-Seine.

Dans quel cadre s’est inscrit ton stage ?
De mon côté, un cousin m’avait parlé des centrales villageoises qui font partie du réseau Energie Partagée. En faisant quelques recherches j’ai vu que plusieurs coopératives existent en région Île-de-France donc j’ai envoyé des candidatures spontanées et ils étaient intéressés. C’est la première fois qu’ils prennent un stagiaire donc il faut savoir être autonome dans son travail. De mon côté, ça répondait à mon envie d’aller dans le concret et dans l’alternatif.

Atelier de présentation du contexte énergétique en France et étude de la consommation du Théâtre Public de Montreuil animée par Soukaina, bénévole chez PEC et Lilia
Atelier de présentation du contexte énergétique en France et étude de la consommation du Théâtre Public de Montreuil animée par Soukaina, bénévole chez PEC et Lilia

En termes de salaires ça donnait quoi ? 

Comme souvent dans le milieu associatif, j’étais rémunéré au minimum légal soit 701€/mois, donc sur 6 mois il faut avoir de quoi tenir à côté ou se faire héberger.

Dans quel cadre s’est inscrit ton stage ? 

J’ai fait du développement de projets Photovoltaïque (PV), dans le cadre d’un projet qui s’appelle greenkommon. On cherche à développer des centrales PV en boucle d’autoconsommation collective (ACC) avec des bâtiments culturels, dans le but de créer des synergies entre les mondes de la culture et de l’énergie. Le but est aussi de permettre aux acteurs du monde culturel de réduire leurs factures d’électricité et de se sensibiliser à la sobriété.

Concrètement, tu faisais quoi de tes journées ?
On peut résumer ça en 4 points :

  1. La prospection de toits de bâtiments culturels sur lesquels on pourrait installer des panneaux. On passe du temps sur google maps, et on check s’ils remplissent tous les critères. J’ai même formé de nouveaux bénévoles à le faire eux-mêmes grâce à un outil de prospection que j’ai développé pour l’occasion.
  2. On fait des études techniques, une modélisation de centrale pour savoir quelle puissance on peut installer, combien elle va produire etc… Il faut aussi étudier la consommation du bâtiment pour déterminer le taux d’autoconsommation que tu peux avoir et combien tu peux économiser par an… c’est super  stimulant !
  3. Sur le modèle économique, on a challengé des modèles déjà existants pour faire des tests de robustesse. L’idée est de trouver le meilleur combo pour aller voir la collectivité propriétaire des bâtiments et lui faire une proposition.
  4. On a fait de la sensibilisation. On allait voir les salariés des centres culturels pour leur apprendre à comprendre leurs factures d’électricité, leurs courbes de consommation etc…
Atelier d'auto-installation de kit solaire, présentée par le Atelier d'auto-installation de kit solaire, présentée par le CIREN
Atelier d’auto-installation de kit solaire, présentée par la coopérative CIREN

Travailler dans un écosystème associatif avec beaucoup de bénévoles ça peut être parfois compliqué, comment as-tu vécu ton expérience de ce point de vue là ? 

Mon maître de stage était bénévole donc on ne travaillait pas sur les mêmes horaires. Lui bossait le soir et le week-end pendant que moi j’avais des horaires de bureau classiques. C’est un peu compliqué comme système mais si on s’en sort si on s’organise bien.

Le fait de reposer uniquement sur des bénévoles c’est super fort et cool mais c’est quand même une grande fragilité pour les coop citoyennes. Sur le principe, ça permet une gouvernance décentralisée et horizontale mais en pratique les décisions reposent sur les ⅔ personnes les plus impliquées, qui souvent sont des retraités car ils ont plus de temps.

Le modèle du salariat est à creuser bien qu’il y ait sans doute un choc générationnel sur ce point, sur la manière de donner son temps en présentiel ou en visio. Il peut permettre plus de robustesse aux coopératives, surtout pour la partie développement de projet, là où le bénévolat est super intéressant pour faire de la sensibilisation.

Avec quoi pars-tu de ce stage de 6 mois ? 

Je retiens que le modèle coopératif est super pertinent car il est totalement en accord avec mes valeurs personnelles, chaque personne travaille et contribue à une structure et a donc les mêmes droits. L’approche citoyenne est essentielle mais peut se mettre en place de manière complémentaire avec une approche salariale.

Je retiens aussi le modèle des projets en ACC parce que t’as pas besoin d’être bénévole pour te réapproprier les moyens de production. Cette idée de “faire communauté”  (énergétique) m’est super importante.

Et après ?

Je cherche du travail maintenant, j’aimerais bien trouver quelque chose dans une coopérative dans le secteur de l’énergie mais il y en a peu qui embauche :), sinon pourquoi pas un Think Tank sur l’énergie qui applique des projets concrètement. Dans tous les cas, je cherche un endroit où les valeurs écologiques et sociales sont primordiales.

 

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