La Vie – Des citoyens branchés sur un courant alternatif

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Article de Frédéric Legrand publié le 20 septembre 2019 - Pour participer à la transition énergétique, de plus en plus de Français se regroupent afin de lancer des projets de micro-centrales produisant de l'électricité renouvelable.

> Cet article est à retrouver sur le site de La Vie.

La fourche est étroite comme un râteau de jardinage, mais longue comme une perche de piscine. À bout de bras, Jean-Luc Rouby la ressort du fond du canal et dépose sur un tas les dernières algues qu’il a arrachées. « C’est un problème qu’on avait sous-estimé. Si on n’entretient pas souvent, surtout en automne ou après un coup de mistral, les algues peuvent faire fortement monter le niveau d’eau. » De quoi perturber la turbine placée à quelques mètres en aval, sous un imposant corps de ferme. Depuis mars, 15 bénévoles se relaient pour assurer le bon fonctionnement de la microcentrale électrique de la Marie-Thérèse à Velaux, dans l’agglomération d’Aix-en-Provence.

Sa spécificité : être un projet d’énergie entièrement porté par des citoyens. Moulin à blé au XVIe siècle, moulin pour produits chimiques dans la première moitié du XXe siècle, la Marie-Thérèse devient centrale électrique dans les années 1960. En 2012, la turbine rend l’âme. En 2013, Jean-Marie Salignon, propriétaire de la ferme et de la centrale, est contacté par Enercoop, fournisseur coopératif d’énergies renouvelables. « Ils voulaient m’acheter de l’électricité, se souvient-il. Je leur ai dit d’accord, mais seulement s’ils s’occupaient de la partie administrative pour les travaux. »

C’est le début d’une grande mobilisation pour sauver la Marie-Thérèse. Jeune retraité de la zone pétrochimique de l’étang de Berre, Jean-Luc Rouby se lance dans l’aventure. « Dès les premières journées portes ouvertes, on a eu des dizaines de gens qui prenaient des parts dans la société que nous étions en train de monter, se souvient-il. Ça allait de 100 à 10.000 EUR. Et beaucoup de gens de Velaux ou d’Aix, mais aussi de partout ailleurs en France. On a même eu un investisseur allemand, qui n’avait jamais vu le site ! » Après trois années d’études, une de travaux et 700.000 EUR investis, la centrale a redémarré en mars. Objectif : produire 150 kWh, l’équivalent de la consommation de 150 foyers.

100 microcentrales déjà actives

La Marie-Thérèse n’est pas un cas isolé. Dans un pointage réalisé fin 2018, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estimait qu’en trois ans, dans la moitié sud de la France, le nombre de projets citoyens de production d’électricité a été multiplié par trois. « Aujourd’hui, on atteint les 300 répartis dans tout le pays, dont 100 sont déjà en phase de production », souligne Marc Mossalgue, porte-parole d’Énergie partagée, association qui repère et aide au développement les projets énergétiques portés par des citoyens.

Au total, ces projets représentent une production potentielle de 842 MWh, soit la consommation annuelle de 840.000 personnes. En y ajoutant les projets menés par EDF ou d’autres grands groupes privés, la production d’énergies renouvelables représentait au printemps dernier 51 GWh, soit 60 fois plus, selon les chiffres d’Enedis, qui gère le réseau électrique. « On est loin des logiques des gros industriels, mais on est les petits colibris de la transition énergétique, on fait notre part », estime Guillaume Flament, chargé de mission photovoltaïque pour l’association Solis, qui développe des projets de toitures solaires sur des bâtiments publics – églises comprises dans les Hauts-de-France.

Avantage de ces initiatives : elles permettent aux citoyens de s’emparer des enjeux de l’énergie. « Quand on se réapproprie la production d’électricité, on découvre ce que signifie la consommation d’un ménage, ce que ça nécessite pour arriver à du 100% renouvelable, et on devient plus économe », note Marc Mossalgue. Une prise de conscience jusque-là très difficile : en France, l’électricité est peu chère parce qu’une part importante du coût du nucléaire (stockage des déchets, démantèlement des centrales…) n’est pas suffisamment incluse dans le prix payé par le consommateur, comme l’avait pointé la Cour des comptes en 2012. Une situation qui freine la lutte contre le gaspillage énergétique.

On est loin des logiques des gros industriels, mais on est les petits colibris de la transition énergétique, on fait notre part

Avantage aux grands groupes

En 2015, la loi de transition énergétique avait semblé vouloir inverser la dynamique, en donnant un coup de pouce aux projets citoyens, notamment pour faciliter leur financement. Quatre ans plus tard, les acteurs de la filière déchantent. Dans une tribune publiée en juin dans Alternatives économiques, ils dénoncent l’attitude des pouvoirs publics et particulièrement de l’État, qui serait devenu « un frein » aux projets citoyens en donnant l’avantage « aux seuls opérateurs privés, parfois déconnectés des enjeux de développement local, de transparence et de justice sociale ».

« Pour l’éolien, les projets citoyens seraient limités à deux éoliennes par projet », dénonce Marc Mossalgue. Pour le photovoltaïque, plusieurs acteurs s’inquiètent de voir des projets industriels empiéter sur des terres agricoles ou constructibles, là où les projets citoyens privilégient les toits ou les terrains rendus inexploitables par la pollution. Le salut viendra peut-être des collectivités locales : dans le Nord, Solis a réussi à mettre sur pied un partenariat avec la métropole de Lille. « Ça nous a donné un accès plus facile aux mairies et a permis de multiplier le nombre de projets », se réjouit Guillaume Flament. Plusieurs intercommunalités, département et régions du sud de la France lancent de grands programmes de subvention du photovoltaïque.

À Velaux, la Marie-Thérèse a bénéficié du soutien de la commune, de la région, mais aussi des autorités gestionnaires de la rivière afin d’installer des passages pour les poissons. Au total, l’argent public a financé un tiers des travaux. Alors que la centrale n’a pas encore atteint le premier anniversaire de sa nouvelle vie, l’équipe de la Marie-Thérèse s’est déjà lancée dans un nouveau défi : un grand projet photovoltaïque, sur les toitures de trois villages de la vallée, en contrebas de la rivière.