Le Monde – La transition énergétique viendra des citoyens
Article de Pierre Le Hir, publié dans l'édition du 11 octobre 2013.
Coordinateur du mouvement Énergie Partagée, qui espère doubler le nombre de ses souscripteurs, Marc Mossalgue plaide pour une maîtrise locale de la production et de la consommation de ressources renouvelables.
Le mouvement Énergie partagée lance un appel à souscriptions. Quel est son objet ?
Marc Mossalgue : Cet appel répond à l’engouement des citoyens pour des projets qui leur permettent de reprendre la main sur la production et la consommation d’énergie. D’un côté, ils voient la réalité du changement climatique dont le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé, et même aggravé, le diagnostic. Ils constatent aussi les risques inhérents à l’industrie nucléaire – dont témoigne l’accident de Fukushima – et la hausse du prix de l’électricité… De l’autre côté, ils mesurent l’immobilisme du système énergétique. Ils veulent donc choisir l’énergie qu’ils vont produire et consommer . La vocation d’Énergie partagée est d’accompagner , de financer et de fédérer les initiatives visant au développement des énergies renouvelables dans les territoires.
L’engouement dont vous parlez s’observe chez certains de nos voisins européens, mais encore très peu en France …
Le modèle de l’énergie participative est en effet beaucoup plus développé dans d’autres pays européens qu’en France. Un exemple : voilà deux semaines, aux Pays-Bas les parts d’une éolienne à financement participatif ont été achetées en une demi-journée seulement par 1 700 particuliers, qui ont versé chacun 200 euros et qui sont devenus propriétaires de leur énergie, avec un bon pour 500 kilowattheures d’électricité.
Au Danemark, lorsqu’une éolienne sort de terre, au moins 20 % de son capital doivent être proposés à la population locale
Autre exemple, l’Allemagne , où la moitié des installations renouvelables mises en place depuis dix ans appartiennent à des habitants et des agriculteurs, et où des municipalités, comme celle de Hambourg, ont racheté le réseau de distribution électrique, à la demande de citoyens, pour contrôler leur approvisionnement en énergie. Au Danemark , encore, lorsqu’une éolienne sort de terre, au moins 20 % de son capital doivent être proposés à la population locale. C’est une façon d’impliquer les citoyens dans le financement – et les bénéfices – d’une énergie propre à tous les sens du terme : verte, locale, et maîtrisable.
En France, les expériences de ce type n’en sont qu’à leurs débuts, mais elles gagnent du terrain. A l’image des éoliennes “citoyennes” de Béganne, dans le Morbihan, qui entreront en service au printemps 2014 et qui ont été financées par un millier de personnes.
Pourquoi ce retard francais ?
Plus qu’ailleurs le système énergétique y est extrêmement centralisé, avec un réseau uniformisé qui ne tient pas compte des ressources locales. La France est l’un des pays d’Europe les plus choyés en matière d’énergies renouvelables – elle est balayée par des vents réguliers, son territoire est bien ensoleillé, elle possède de nombreux cours d’eau… –, mais ces ressources sont mal exploitées. D’où le “ras-le-bol” que suscite la gestion actuelle de l’énergie. Et la montée d’initiatives tendant à montrer qu’il est possible de bâtir des projets locaux et coopératifs allant dans le sens de l’intérêt général. Loin d’une logique purement économique et spéculative de l’énergie, ces projets sont portés par une volonté de mise en valeur de la ressource locale : les citoyens veulent valoriser leur vent, leur soleil, leur rivière, leur forêt ; et ainsi maintenir un tissu économique et des emplois sur leur territoire.
Plus qu’ailleurs le système énergétique français est extrêmement centralisé
Il reste aussi, en France, des collectivités qui, comme Strasbourg ou Grenoble , ont voulu garder la responsabilité de la distribution d’énergie, à travers des régies municipales ou des entreprises locales de distribution. Ces collectivités ne sont pas très nombreuses – 100 à 150 environ –, mais elles montrent la voie de ce que pourrait être un modèle énergétique relocalisé et remis entre les mains des citoyens.
Quelles realisations le réseau Énergie partagee a-t-il aujourd’hui à son actif ?
Le mouvement est né en 2010. Il est issu des projets qui cherchaient à émerger mais qui avaient besoin d’un encadrement, pour mobiliser les citoyens, associer les collectivités, faire les études techniques… Peu après, en 2011, a été créé un fonds d’investissement, qui est le moteur du mouvement. Énergie partagée repose ainsi sur l’alliance de spécialistes des énergies renouvelables et de spécialistes de la finance solidaire. Pour favoriser une prise en charge de la transition énergétique par les citoyens, il faut leur permettre de s’investir personnellement, mais aussi d’investir financièrement dans un nouveau modèle énergétique.
Énergie Partagée repose ainsi sur l’alliance de spécialistes des énergies renouvelables et de spécialistes de la finance solidaire
À ce jour, 5 millions d’euros ont été collectés auprès de 2 500 souscripteurs. Cet argent – soit 50 000 actions – a déjà permis de réaliser cinq installations photovoltaïques, comme des toitures solaires de 500 mètres carrés sur trois écoles de la communauté de communes Plaine Sud de Caen . Vingt-cinq autres projets de solaire, d’éolien, de biomasse, de microhydraulique ou de chaufferies collectives ont déjà été validés, sur la base de leur respect de la charte d’Energie partagée, qui exige que le projet soit porté par les citoyens, ancré localement, à finalité non spéculative, et avec une gouvernance démocratique, coopérative et transparente. Tous peuvent donc bénéficier du fonds d’investissement.
Meme si la motivation n’est pas financiere, les actionnaires de ces projets en retirent-ils un gain ?
Nous avons un objectif de valorisation de l’investissement de 4 % par an, grâce aux bénéfices tirés de la revente de l’électricité produite. Les souscripteurs toucheront ces dividendes après une période de huit ans, nécessaire pour l’amorçage financier du fonds. Il s’agit donc d’un placement rentable, qui a une utilité et un sens.
Vous esperez reunir 2 500 nouveaux souscripteurs d’ici au 31 octobre. C’est beaucoup…
Nous souhaitons doubler les capacités du fonds d’investissement et le nombre de personnes impliquées, parce que c’est ainsi, de proche en proche, de bouche à oreille, que pourra s’opérer de façon concrète la transition énergétique. Aujourd’hui, le public connaît peu les outils de cette transition que sont Energie partagée ou Enercoop [société coopérative qui œuvre dans les énergies renouvelables]. L’objectif est de les faire mieux connaître , pour multiplier les initiatives permettant d’influer très directement sur le modèle énergétique français
Avez-vous participe au debat sur la transition energetique ? Que pensez-vous de ses conclusions ?
Énergie partagée y a participé au sein du collectif des ONG, aux côtés de la Fondation Nicolas Hulot, du Réseau action climat et du Comité de liaison énergies renouvelables (CLER) notamment. Au-delà des annonces qui ont été faites, qui lancent des pistes mais qui sont encore très floues, ce qui nous a frappés, c’est la très forte mobilisation citoyenne lors des réunions publiques organisées, au printemps, dans toute la France. C’est l’élan qui s’est manifesté en marge du débat qui nous donne de grands espoirs et nous fait penser que la transition énergétique, si elle tarde à venir par le haut, se fera par le bas et viendra des citoyens.