Les jeunes engagé.e.s dans les coopératives de production d’énergie renouvelable : Episode #2 avec Quentin, salarié d’Enercitif
Dans cette série, nous mettons en avant les jeunes engagés dans des coopératives d’énergies renouvelables en Île-de-France. Aujourd’hui nous partons à la rencontre de Quentin Bustarret, salarié de la coopérative parisienne Enercitif depuis 6 mois.
Salut Quentin, peux tu nous raconter un peu ton parcours ?
Je viens d’un parcours scientifique et ingénieur. J’adorais la physique au lycée, ce sentiment de pouvoir comprendre le monde qui nous entoure me passionne. Mes parents m’ont un peu poussé vers la prépa, ayant eux-même suivi ce parcours; j’ai intégré une prépa scientifique PCSI/PC au lycée Hoche, à Versailles. J’ai eu la grande chance de pouvoir intégrer l’X après trois ans là-bas. Je commence à ce stade à me poser beaucoup de questions car la représentation du monde professionnel à l’Ecole Polytechnique est très biaisée : on n’y voit que les grosses boîtes capitalistes, les banques, les startups, et les cabinets de conseil en stratégie… Ou les Corps de l’État qui forment les hauts fonctionnaires, mais qui sont réservés à l’élite parmi l’élite. Ça fait un gros décalage avec mes convictions écolos naissantes et les valeurs d’intelligence collective et de coopération que je découvre par ailleurs dans une formation dédiée pour jeunes ingés « bifurqueurs ». La seule alternative que j’y voyais alors est le secteur public et les structures d’intérêt général. J’ai choisi de m’orienter vers le domaine de l’énergie qui me paraît être un sujet où je pourrais contribuer avec ma formation d’ingénieur, par un double diplôme aux Mines de Paris. J’ai ensuite pu effectuer un stage de fin d’étude et travailler un an chez RTE (le gestionnaire du réseau de transport public d’électricité en France), qui recoupait bien mon intérêt pour l’énergie et l’objectif de contribuer aux services publics. J’y faisais de la R&D (Recherche et Développement) sur l’analyse prospective du fonctionnement du marché électrique européen, à horizon 2050 ; un sujet très stimulant intellectuellement, mais aussi très déconnecté du terrain.
D’où nous vient ton intérêt pour les énergies renouvelables citoyennes ?
Durant mon passage à RTE, ma vision de l’énergie a un peu évoluée. Déjà parce que l’effectivité d’une « transition » énergétique reste encore à prouver, ensuite parce que l’on a beau produire les meilleurs modèles possibles, les enjeux autour de l’énergie en France ne sont pas d’ordre technique mais bien politique. Je trouve qu’on a en France la chance d’avoir des études prospectives très robustes scientifiquement (de l’ADEME, RTE et négaWatt notamment), qui convergent dans leurs principales conclusions et dressent plusieurs voies possibles, et la malchance d’avoir un pouvoir d’action concentré dans les mains d’une classe politique qui a une vision court-termiste et dogmatique. Pourtant je dirais que l’énergie est un sujet très intéressant d’un point de vue démocratique : c’est un bien de première nécessité, utilisé quotidiennement par tous les citoyen•nes, donc sur lequel tout le monde peut se forger un avis. Mais au lieu de mener un vrai débat national éclairé, de publier des feuilles de route à long-terme, de trouver les moyens d’inclure les territoires et les citoyen•nes, ou de faire des retombées économiques locales, on cristallise les tensions et ce sont les grandes entreprises capitalistes qui s’en mettent plein les poches avec des projets EnR (ça c’est bien) écocidaires, souvent non-concertés et contestés en justice – mais construits quand même, qui exploitent nos territoires déjà exsangues au lieu de les financer (ça… c’est moins bien).
Comment as-tu entendu parler des Énergies citoyennes ?
Je l’avoue, dans l’offre de mon poste actuel. C’est ce qui m’a le plus étonné : que ce soit en école ou dans les milieux militants écolos de gauche, je n’avais jamais entendu parler d’Énergie Partagée ou d’Énergie Citoyenne. Après, il est vrai que c’est un sujet qui touche potentiellement plus les territoires qu’une métropole comme Paris où j’ai passé une bonne partie de ma vie. Mais j’avais commencé à mettre un pied dedans dans mes questionnements autour de l’organisation du travail et mon intérêt pour le modèle coopératif, ce qui m’avait mené vers Enercoop. Quand j’ai vu l’offre d’emploi chez Enercitifqui cochait toutes les cases, c’était le bingo.
Qu’en penses-tu ? Qu’est ce qui te fait vibrer là-dedans ?
Ce que j’aime tout particulièrement, c’est que ça fédère des personnes qui sont touchées par des problématiques très différentes : des militant•es anti-nucléaires, des angoissé•es du dérèglement climatique, des personnes très attachées à leur territoire, des fans d’auto-production d’énergie, des pionnier•ères de l’ESS… Ça fait des débats intéressants, même si on manque un peu de diversité sociale. L’esprit coopératif est très présent, alors que le contexte n’est pas forcément très favorable. Il y a beaucoup de questions, et beaucoup d’envie. Et des personnes chouettes. Beaucoup de personnes chouettes.
Qu’est ce que tu préfères dans ton boulot aujourd’hui ?
La satisfaction de contribuer à la consolidation d’un collectif, à la production locale d’énergie sur un territoire auquel je suis attaché, le fait de pouvoir contribuer à toutes les étapes de la vie d’un projet EnR et d’en voir la concrétisation matérielle sur le terrain, apprendre de nouvelles choses, la diversité des compétences à acquérir, avoir des employeurs bienveillants, travailler en collaboration avec d’autres, l’importance qui est accordée à mon opinion, le rattachement à l’ESS, l’importance de l’humain, la confiance et l’autonomie qui m’est accordée, le pragmatisme.
Qu’est ce qui est le plus dur dans ton travail aujourd’hui ?
C’est parfois frustrant de travailler en lien avec une collectivité, car les échelles, les enjeux et les temps de décisions sont très différents… C’est un boulot où il faut aimer la paperasse.
Que pensent tes potes/entourages de ton travail ?
Ça dépend. J’ai la chance d’avoir un entourage proche bienveillant qui souhaite surtout que je m’épanouisse, même sans comprendre les moindres détails de ce que je fais, ce qui est un soutien très précieux pour moi. Mais je sens aussi qu’une partie plus éloignée de ma famille m’a collé une étiquette d’écolo relou et a du mal à comprendre mon choix d’un travail pour lequel je suis surqualifié. Ça ne colle pas à leur modèle de réussite sociale, j’ai peur de les décevoir. Je trouve ça difficile de s’expliquer avec les personnes qui nous sont le plus proche, le fait d’évoluer par rapport à la vision préconçue qu’ils et elles ont de nous peut créer de l’incompréhension, de l’éloignement.
Quels conseils/messages veux- tu faire passer à un.e jeune qui s’interroge sur ses choix de carrière aujourd’hui ?
De se faire confiance. On reçoit beaucoup d’injonctions carriéristes durant nos études, de la part des grosses entreprises privées qui investissent énormément pour recruter, comme de notre famille qui souhaite notre bonheur mais peut tendre à nous imposer son modèle de réussite. On nous apprend à trouver directement le métier idéal, à gagner « suffisamment » d’argent, puis d’avoir une belle « carrière » pleine de « réussite ». Résultat, je vois que beaucoup de mes camarades de promotion ou ami•es ont suivi la voie qui leur était tracée pour atterrir dans des bullshit jobs ou des environnements professionnels toxiques sur le plan humain. Certain•es y trouvent leur compte avec leur salaire mirobolant et leur train de vie rapide (les fameux « jeunes cadres dynamiques »), mais bon nombre d’entre elles et eux a fini par démissionner voire par être dégouté•es de leur métier. C’est quand même particulier d’avoir une diplôme très valorisé dans la société et de se retrouver au chômage deux ans après ta sortie d’école… D’ailleurs, mes ami•es les plus épanoui•es dans leur vie professionnelle ont pour la plupart bifurqué assez radicalement de ce à quoi leurs études les prédestinait.
Mon conseil est donc le suivant : s’écouter, et ne pas viser un plan de vie à 10/15 ans. Agir au gré des questionnements qui nous traversent, rester curieux, oser sortir des sentiers battus, saisir des opportunités un peu folles et s’autoriser à faire des erreurs. Et se donner du temps. Ça m’a personnellement beaucoup aidé à affiner petit à petit le cadre professionnel dans lequel je voulais mettre de l’énergie, le travail qui fait sens pour moi, qui m’épanouis. Et il ne faut pas se laisser persuader que nous sommes des marginaux, car nos générations s’interrogent beaucoup sur la vision du travail qui nous est transmise.

