Som Energia, fer de lance de l’énergie citoyenne en Espagne
Il y a 10 ans, la naissance de Som Energia - la 1ère coopérative d’énergie citoyenne espagnole - amorçait une résistance “renouvelable” dans un marché oligopolistique dominé de longue date par les énergies fossiles. À ce jour, la coopérative, en constante progression, compte 65 000 sociétaires.
Le soleil, ce n’est pas ce qui manque en Espagne. Pourtant, produire et consommer sa propre énergie photovoltaïque y est tout un luxe…
Genèse de Som Energia
Gijsbert Huijink en sait quelque chose. Ce professeur d’économie hollandais est muté à l’Université de Gérone dans le courant de 2008. Il s’installe avec sa famille dans un mas en zone rurale et constate que se raccorder au réseau de distribution d’électricité national lui coûte beaucoup plus cher que s’il consommait sa propre électricité produite au moyen de panneaux solaires.
Or, à sa grande surprise, il découvre aussi que l’autoproduction d’énergie n’est pas réglementée en Espagne à l’époque. Pire : des primes d’État, qui avaient été promises dès 2007 par le gouvernement de José Luis Zapatero à quiconque investirait dans le photovoltaïque, sont brutalement abolies deux ans après, laissant 62 000 familles dans la ruine (celles-ci avaient, en effet, investi toutes leurs économies dans des installations photovoltaïques, tablant sur les aides “fantômes” de l’État).
Un mouvement coopérativiste sans précédent
C’est dans ce contexte que Gijsbert Huijink décide, avec un petit groupe d’amis, voisins et étudiants de l’université de Gérone, de créer une coopérative électrique centrée sur la commercialisation et la production d’énergie renouvelable. Som Energia est née.
La coopérative, qui démarre avec un petit noyau de 150 sociétaires, en compte aujourd’hui 65 000 et gère près de 112 000 contrats sur tout le territoire espagnol. Son succès encourage la création d’autres coopératives plus locales dans d’autres communautés autonomes de l’Espagne : GoiEner au Pays basque, Econactive en Castilla-la-Mancha, Megara Energía et EnergÉtica Coop en Castilla-y-León, Nosa Enerxia en Galice, Cooperativa EMASP en Navarre, Solabria en Cantabrie, La Corriente Coop à Madrid, La Solar à Murcie ou encore Zencer en Andalousie.
Quant à elle, Som Energía a essaimé sur tout le territoire, avec 50 groupes territoriaux.
Le lobby des énergies fossiles
Le leitmotiv de Som Energia est de changer le modèle énergétique existant, largement dominé par cinq grandes compagnies électriques (Endesa, Iberdrola, Naturgy, EDP et Repsol), qui accaparent plus de 85% de la clientèle nationale depuis la libéralisation du marché électrique espagnol en 1997.
Ce puissant lobby a toujours exercé une pression sur les gouvernements successifs de l’Espagne pour orienter les politiques énergétiques en sa faveur, politiques d’ailleurs largement dépendantes des énergies fossiles et longtemps hostiles aux énergies renouvelables.
Par le truchement d’un habile jeu de “portes giratoires”, des hommes politiques influents (dont d’anciens chefs du gouvernement) se sont recyclés à des postes clés dans les conseils d’administration de ces compagnies électriques et vice-versa. C’est ainsi qu’en 2015, le gouvernement de Mariano Rajoy (la Droite espagnole) a imposé à tous les auto-producteurs d’énergie renouvelable le très impopulaire “impôt sur le soleil” qui taxait toute réinjection d’électricité renouvelable dans le système de distribution public.
Vers la souveraineté énergétique citoyenne
Or, Som Energia, en plus de commercialiser une électricité verte, a aussi comme objectif d’en produire suffisamment pour satisfaire 100% de la demande de ses sociétaires et clients. En attendant, la coopérative achète l’énergie consommée par ses sociétaires sur le marché de gros de l’électricité et obtient des certificats de garantie d’origine attestant que l’énergie est produite à partir de sources renouvelables. La fourniture d’électricité est effectuée en utilisant le réseau électrique existant (Red Eléctrica de España, entreprise publique). Le coût des péages de transport se reflète dans la facture d’électricité.
À ce jour, grâce aux apports volontaires de ses sociétaires, la coopérative a réussi à financer intégralement 14 unités de production (parcs solaires, mini-centrales hydrauliques et de biogaz) qui fournissent 17 GWh par an. Cinq autres projets similaires sont en phase de construction et/ou d’étude et devraient fournir dans un futur proche 133 GWh supplémentaires chaque année.
Certains Groupes Locaux de Som Energia collaborent également avec une ingénierie solaire (Ecooo) basée à Madrid pour mettre en oeuvre des projets tels que Generación kWh ou, plus localement sur Madrid, Recupera El Sol (littéralement “Récupère le Soleil”). Ces projets consistent à racheter (toujours grâce à la finance citoyenne) les installations photovoltaïques confisquées par les banques à leurs propriétaires initiaux, à la suite du fiasco des primes d’État au photovoltaïque mentionné précédemment. 24 de ces installations photovoltaïques ont ainsi pu être remises en état de marche dans toute l’Espagne.
L’auto-production enfin possible
Enfin, heureux revirement dans le sens de la transition énergétique, le gouvernement socialiste actuel a approuvé le 5 avril 2019 un décret royal qui révoque notamment l’infâme “impôt sur le soleil”.
Au lieu de payer pour réinjecter le surplus d’électricité dans le système public de distribution, les auto-producteurs se voient maintenant proposer plusieurs options de compensation (le décompte de l’énergie auto-produite de la facture électrique ou le rachat de l’électricité produite). Grâce à cette nouvelle législation, Som Energia a pu démocratiser les achats collectifs d’installations photovoltaïques entre ses sociétaires. Au total, ce sont déjà 1400 sociétaires qui vont pouvoir acheter en commun et installer des panneaux solaires à domicile pour produire leur propre énergie.
Nathalie Pédestarres
Bénévole au sein de Som Energia