[Tribune] Transition énergétique : partageons plus que la valeur financière
Énergie Partagée en appelle, sous la plume de notre co-président Jean-Baptiste Boyer, à passer de la simple acceptation des projets d'énergie renouvelable à leur véritable appropriation par les citoyens et les territoires, via un partage de la valeur étendu au-delà de sa seule dimension financière.
En parallèle à son intervention dans la table ronde d’ouverture du salon Energaïa le 10 décembre 2025, notre co-président Jean-Baptiste Boyer publie cette tribune au nom d’Énergie Partagée.
Une version courte de la tribune a été publiée par le média Cdurable. (nouvel onglet)
Le développement des énergies renouvelables peut-il être réussi en étant simplement accepté quand elles ont vocation à être omniprésentes dans notre approvisionnement ? Le partage de la valeur, bien utilisé, peut permettre une appropriation des moyens de production par tous les citoyens et citoyennes, et faciliter ainsi leur déploiement.
Un développement EnR massif
Dans un contexte de crise climatique et de crise de la biodiversité, ce qu’il est encore coutume d’appeler « transition énergétique » se caractérise par trois grands phénomènes : l’électrification des usages, la maîtrise de la demande en énergie et le développement massif des énergies renouvelables, pour permettre de remplacer les énergies fossiles encore présentes à plus de 40 % dans notre mix énergétique. Tous les scénarios de prospective sont d’accord sur ces points et considèrent le déploiement des énergies renouvelables comme indispensable pour faire notre part en termes de lutte contre la crise écologique. 1
La question est donc davantage de savoir « comment » permettre le développement massif des énergies renouvelables. C’est à cet endroit que le « partage de la valeur » apparaît comme une solution pouvant faciliter l’installation des grandes éoliennes et des parcs photovoltaïques (notamment). Derrière ce terme peuvent se cacher des mises en œuvre très différentes, allant de la distribution de « chèques énergie » à des prix d’électricité réduits pour les riverains et riveraines des projets, ou encore à la participation des acteurs locaux à l’investissement et à la gouvernance des projets.
Si tous ces mécanismes ont en commun le fait de vouloir augmenter les retombées locales des projets d’énergies renouvelables, il est évident que tous ces mécanismes ne se valent pas. Lorsque des mesures de partage de la valeur sont mises en œuvre, elles sont, la plupart du temps, purement financières, ce qui place les personnes concernées dans une relation strictement commerciale vis-à-vis du projet. De fait, il s’agit d’actions visant à sa simple acceptation, et le développeur souhaite essentiellement savoir « quel est le prix de la paix ? ». Dans le pire des cas, ces rétributions sont parfois présentées comme une forme de compensation d’un dommage subi, installant l’idée que la proximité des énergies renouvelables est néfaste pour les riverains. Pourtant la perception des éoliennes est très positive en France, et en particulier pour les personnes résidant à moins de 10 km d’un parc éolien. 2
De l’acceptabilité à l’appropriation
Pour autant, comment penser que ces mécanismes peuvent permettre de passer de 15 % d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique actuel à plus de 70 % 3 en 2050 ? Si travailler « l’acceptabilité » est une première approche, la question de l’appropriation des projets paraît beaucoup plus pertinente au regard des enjeux. Pour se représenter les choses, il est possible de faire le parallèle avec le fait d’être locataire de son logement ou d’en être propriétaire. Dans le premier cas, il est bien évidemment possible d’apporter quelques modifications à la marge mais les paramètres sont figés, la réflexion se cantonne au fait de savoir si le loyer est juste ou non. En revanche, en tant que propriétaire, vous pouvez décider de beaucoup de choses comme la hauteur et la couleur des murs extérieurs, le fait de partager l’existant (ou de construire une extension) pour accueillir de la famille ou des personnes en difficulté, planter un jardin ornemental ou un verger, et à peu près tout le reste.
Partout en France, près de 450 projets de ce type existent déjà. 4 Les citoyens et les collectivités créent des installations d’énergies renouvelables ou participent à leur investissement et à leur gouvernance. Ces projets sont réunis sous le Label Énergie Partagée qui permet de reconnaître les projets de production d’énergies renouvelables particulièrement bénéfiques pour leur territoire, sur les plans économiques, démocratiques, sociaux et écologiques. On y décide à plusieurs les choix d’implantation au regard des différents impacts et retombées. Mais on peut également y choisir ce qui sera fait de l’énergie produite : par exemple décider du prix et des usages prioritaires au regard des coûts de production, financer des actions de préservation de la biodiversité, mettre en place une tarification solidaire ou utiliser les excédents pour soutenir des ménages en précarité énergétique.
Il faut également noter que ces projets citoyens rapportent au moins deux fois plus aux territoires d’implantation que des projets privés classiques 5 , ce qui rend les autres mécanismes de partage de la valeur largement moins disant par rapport à ce mode d’intervention : là où les contributions au partage de la valeur peinent à atteindre quelques pourcents des montants investis, les projets citoyens amènent près de 2,5 fois les sommes investies. Ces retombées économiques supplémentaires se font d’ailleurs sans compromis avec l’exemplarité écologique de ces projets qui s’appuient sur des chartes filières spécifiques dans le cadre du Label Énergie Partagée.
Un autre aménagement du territoire est possible
Avec la participation des collectivités, il est également possible d’inscrire une installation de production d’énergie renouvelable dans son territoire, en priorisant notamment les zones d’implantation potentielles les unes par rapport aux autres plutôt qu’en répondant au coup par coup aux sollicitations des développeurs sur un projet précis. Cet exercice de planification permet de faire le lien avec les consommations du territoire et de prendre conscience des limites de notre modèle actuel.
Si les projets d’énergies renouvelables sont trop souvent perçus comme de simples opportunités financières sous couvert d’écologie, la participation des acteurs du territoire à la gouvernance des projets permet de replacer l’installation de production comme un moyen de subvenir à nos besoins énergétiques, en laissant de côté les énergies fossiles. Dans cette optique, si l’autonomie énergétique est un premier pas pour chaque territoire, le développement des projets doit également s’inscrire dans une logique de solidarité avec les territoires voisins lorsque ces derniers ne sont pas en capacité de subvenir à leurs propres besoins.
Pour sortir de la marchandisation de notre production énergétique, et aller vers la réponse à nos besoins vitaux (comme disposer d’énergie sans renforcer la crise climatique), il est nécessaire que les habitants et habitantes, aux côtés de leurs collectivités, se saisissent de la transition énergétique et participent à l’aménagement de leur territoire.
Une démocratie renouvelée
Si les projets qui associent les acteurs locaux permettent de recréer le lien entre production et consommation, et ainsi de nous responsabiliser collectivement sur les impacts de notre production énergétique, il est nécessaire de parler également de l’usage de cette production . Aujourd’hui, développer les énergies renouvelables ne suffit plus pour s’assurer d’une réponse adéquate à la crise écologique. Même si ce développement doit se faire rapidement pour évincer les énergies fossiles de notre mix énergétique, il restera difficilement accepté, et donc limité, s’il reproduit les dérives du capitalisme actuel.
Il est plus que temps de réfléchir à nos modes de consommation et nos usages de l’énergie afin que les nouvelles installations d’énergies renouvelables ne servent pas uniquement à accentuer la pression des activités humaines sur notre environnement. En alliant technique et soutien politique, l’efficacité est un moyen pour réduire nos consommations d’énergie, mais une nécessaire sobriété doit être réfléchie collectivement. Au sein du mouvement des énergies citoyennes, et notamment dans les coopératives locales, les réflexions sont déjà en cours et elles doivent être reprises plus largement par l’ensemble de la société. Dans cette optique, Énergie Partagée, aux côtés des 11 autres structures qui composent l’Alliance pour l’Énergie Locale, se mobilise pour obtenir un cadre législatif et réglementaire qui encourage le développement de tels projets.
Créer ou rejoindre un projet d’énergie citoyenne est un bon moyen de passer à l’action. Au-delà des aspects énergétiques, les projets citoyens sont des structures collectives qui permettent d’insuffler la démocratie dans l’économie. Alors que le sentiment de contrainte et de perte de liberté est de plus en plus présent, les énergies citoyennes sont un espace où retrouver du pouvoir d’agir et constituent un espace démocratique indispensable aujourd’hui.
Engagez-vous dans l’énergie citoyenne et passez à l’action !
Jean-Baptiste Boyer, co-président d’Énergie Partagée Association
