Cagnottes citoyennes anticarbone
Reportage de Coralie Schaub paru dans Libération le 1er février 2016
Et si nos bas de laine servaient vraiment à financer la transition énergétique ? Malgré de grands discours, les banques investissent aujourd’hui massivement notre argent dans les énergies fossiles. Même quand on croit bien faire en ouvrant un «livret développement durable», en fait, on contribue au chambardement climatique : d’après les Amis de la Terre, moins de 10 % des dépôts servent effectivement à financer des projets «durables».
Chacun peut placer son épargne dans des projets locaux et citoyens d’économie d’énergie et d’énergies renouvelables
Pourtant, des solutions existent : «Chacun peut placer son épargne dans des projets locaux et citoyens d’économie d’énergie et d’énergies renouvelables», assure Marc Mossalgue, le coordinateur d’Energie partagée. Cette association fondée en 2010 épaule ces projets pilotés et maîtrisés par des groupes de particuliers, collectivités locales ou structures de l’économie sociale et solidaire.
Dynamique
Malgré un gros retard sur d’autres pays européens lié à l’extrême centralisation du système énergétique hexagonal, des initiatives essaiment un peu partout en France. Nous sommes loin de l’Allemagne, où 200 000 personnes sont déjà sociétaires de près de 900 coopératives d’énergie, représentant plus de la moitié des capacités de production d’énergie renouvelable du pays. Mais la dynamique est là. Il y aurait 150 à 200 projets locaux de ce type en France.
Seuls quelques dizaines sont déjà en service et certains sont minuscules. «L’impact en terme de production est encore marginal. Mais le mouvement est en pleine émergence», estime Noémie Poize, chargée de mission pour l’association RhônAlpEnergie-Environnement, qui conseille les collectivités territoriales. La loi de transition énergétique d’août 2015 devrait favoriser ces expériences, notamment grâce à la possibilité pour les collectivités de participer au capital des sociétés de production d’énergies renouvelables.
En attendant et parallèlement, chacun peut aussi devenir actionnaire du fonds Energie partagée. Celui-ci finance des projets locaux de transition énergétique partout en France en leur fournissant la mise de départ nécessaire à l’obtention d’un prêt.
Énergie partagée veille aussi à ce que les projets soutenus respectent sa charte et remplissent notamment quatre critères : ancrage local, exigence écologique forte, gouvernance démocratique et transparente et projet non spéculatif favorisant l’intérêt collectif. Une fois lancé, chaque projet vend ensuite sa production d’énergie (solaire, éolien, hydraulique, biomasse…) et dégage ainsi des revenus qui permettent de rémunérer le fonds. La boucle est bouclée
Equilibre
Énergie partagée vient de franchir en janvier le cap symbolique des 10 millions d’euros collectés auprès de 5 000 souscripteurs. En tout, il a déjà engagé 7,5 millions d’euros dans 26 projets (lire les trois exemples ci-contre). «Énergie Partagée monte en puissance et parvient à son équilibre économique, se réjouit Marc Mossalgue. Cela atteste de la solidité du mouvement, notamment due au travail de proximité avec de nombreuses collectivités territoriales.»
Les gestionnaires d’épargne salariale commencent à être séduits eux aussi. Le fonds Natixis solidaire, géré par la société de gestion Mirova (Groupe BPCE), vient ainsi d’engager 1 million d’euros dans l’aventure.
Énergie Partagée monte en puissance et parvient à son équilibre économique. Cela atteste de la solidité du mouvement, notamment due au travail de proximité avec de nombreuses collectivités territoriales.
«L’épargne salariale est aujourd’hui la principale source de financement solidaire en France, décrypte Erwan Boumard, le directeur d’Energie Partagée. Pouvoir y accéder est un enjeu important pour nous et nous espérons que l’engagement de Mirova fera boule de neige.»
Son objectif ? Atteindre 25 millions d’euros collectés en 2020, dont deux tiers directement auprès des particuliers et un tiers grâce à l’épargne salariale.
Collecte
L’enjeu, désormais, est de convaincre le grand public, au-delà du cercle «écolo» historique. Bref, l’épargnant lambda, et non plus seulement le militant. C’est l’objet de la campagne de collecte «Epargnons le climat». Lancée en marge de la COP 21 en partenariat avec la Nef, une coopérative unique en France spécialisée dans la finance éthique, elle a déjà permis de rassembler près de 900 000 euros d’épargne, soit près de 90 % de l’objectif fixé.
«De nouvelles personnes au profil plus classique viennent à Energie partagée, c’est une super victoire pour cette campagne», sourit Marc Mossalgue. Qui précise : «Nous avons besoin que les gens souscrivent plutôt à hauteur de 2 000 euros que de 100 euros, car cela entraîne trop de frais pour nous.»
Encore faut-il que l’on ne risque pas de perdre sa mise.
Tout projet comporte un risque : quand vous investissez dans Apple, rien n’est garanti. Mais dans notre cas, outre la modification du tarif d’achat de l’électricité renouvelable, qui était jusqu’ici garanti par l’Etat, le seul vrai risque est qu’une éolienne qui devait tourner 2 000 heures par an ne tourne que 1 800 heures, par exemple. La solution que nous avons trouvée est de diluer ce risque en mutualisant les projets : l’argent va dans un "pot commun".
Energie partagée promet une rentabilité de 4 à 5% par an à ses actionnaires qui patientent dix ans. Y placer ses sous revient donc davantage à les placer en Bourse que sur un Livret A. Mais pour Noémie Poize, «les projets citoyens ne sont pas forcément plus risqués que d’autres. Au contraire, car ils sont portés par des groupements qui cherchent à être exemplaires sur tout, la gouvernance comme les aspects techniques. C’est tout sauf du bricolage d’amateur, il s’agit de gens qui veulent s’approprier l’énergie, qui sont intéressés financièrement, ils ont donc aussi intérêt à ce que ça tourne !»
Trois projets qui roulent avec Energie partagée
«Cueillette solaire» sur des toits du Puy-de-Dôme
«L’appropriation citoyenne de l’énergie.» Voilà le mantra de Combrailles durables, une Scic (société coopérative d’intérêt collectif) créée en 2009 par des villageois de Loubeyrat, au nord de Clermont-Ferrand. Dès l’été 2010, le toit de l’école du bourg accueille une première centrale photovoltaïque. Elles sont désormais une douzaine à faire de la «cueillette solaire» sur les toits des communes des Combrailles, dans le Puy-de-Dôme. Plus de 2 000 m2 de panneaux en tout, de quoi couvrir la consommation en électricité de 120 foyers, hors chauffage.
Grâce aux bénéfices et au bouche-à-oreille favorable, quatre autres centrales sont en gestation.«Notre objectif n’est pas de nous étaler, mais plutôt d’essaimer en partageant notre expérience avec d’autres territoires, précise Valérie Sol, bénévole et administratrice à Combrailles Durables.Nous faisons ce que nous pouvons pour contribuer à faire autrement que les énergies fossiles et fissiles. Et nous le faisons avec sérieux, en mutualisant nos compétences, en choisissant des panneaux de qualité…»
La Scic compte 239 coopérateurs et vient de recruter un salarié en CDI à temps plein. «Cela nous permettra de faire de la sensibilisation sur les économies d’énergie, car le kilowatt-heure le moins cher est celui qu’on ne consomme pas.»
Une microcentrale hydraulique réactivée dans les Vosges
C’est l’histoire d’une résurrection. Au cœur de la forêt vosgienne, à Raon-l’Etape, la Meurthe servait jadis à produire de l’électricité. Grâce, notamment, à la centrale hydraulique de la papeterie des Châtelles. Abandonnée il y a une quinzaine d’années, elle doit être remise en service cet hiver. Ou plutôt sa petite sœur, une nouvelle construction en contrebas, équipée de passes à poissons et à canoës. Elle permettra de fournir l’alimentation en électricité de 615 foyers, hors chauffage. «Nous avons racheté la partie hydraulique du site et les droits d’eau, avec l’accord des services de l’Etat, raconte Louis Massias, le porteur du projet, qui a coûté 1,74 million d’euros. Il y a 2 000 centrales micro-hydrauliques abandonnées en France. L’un de nos objectifs est de leur redonner vie.»
Ingénieur à la retraite et ancien chef d’entreprise, il préside Ercisol, une coopérative agréée «entreprise solidaire» dont l’objet est la production et la distribution d’électricité et de chaleur d’origine renouvelable. Elle rassemble 155 associés et ouvre son capital à toute personne physique ou morale qui le souhaite. Elle compte deux centrales hydrauliques dans les Vosges, une en Isère et une centrale photovoltaïque dans le Bas-Rhin. Les revenus de la vente de l’énergie sont réinvestis dans d’autres projets. Deux fermes éoliennes sont en gestation, en Alsace et dans le Jura. «Nous existons depuis cinq ans et je suis surpris du succès, confie Louis Massias. Si on sait mobiliser les gens, on arrive à faire beaucoup de choses. Ensemble.»
Un parc éolien citoyen, en Loire-Atlantique, suffisant pour alimenter 8 000 foyers
Depuis novembre, quatre éoliennes élancent leurs pales à 145 mètres de haut dans le ciel des communes de Séverac et de Guenrouët, en Loire-Atlantique. En phase de test, elles n’attendent plus que leur inauguration officielle, le 7 mai. Chaque année, elles produiront 18 000 MWh, de quoi alimenter plus de 8 000 foyers (hors chauffage) et éviter d’émettre 3 000 tonnes d’équivalent CO2. Leur originalité ? Elles ont été financées par des particuliers et des collectivités territoriales, qui assureront aussi leur exploitation via la société Isac-Watts.
La même recette qu’à Béganne (Morbihan), où est né en 2014 le premier parc éolien citoyen de France. Les deux parcs jumeaux, grâce auxquels huit postes salariés ont déjà été créés, sont d’ailleurs portés par la même association, Eoliennes en pays de Vilaine, lancée en 2003. «Ses fondateurs ont aussi contribué à la création d’Energie partagée, car il était difficile à l’époque de trouver assez de fonds propres pour convaincre les banques de prêter», raconte Claudette Lacombe, la présidente d’Isac-Watts.
Concrètement, Energie partagée a investi en actions pour environ 500 000 euros – près d’un tiers des fonds propres – dans ce projet de 11 millions d’euros, aux côtés de membres fondateurs et de 38 clubs d’investisseurs. Le conseil général de Loire-Atlantique et un prêt de la Banque publique d’investissement ont bouclé le reste du budget. Les éoliennes d’Isac-Watts suscitent-elles l’hostilité des riverains ? «Une ou deux personnes nous ont dit que leur vue les gêne, admet Claudette Lacombe. On ne peut pas dire que le projet a suscité l’engagement de la population locale, il s’agit plutôt d’un engagement militant de la part de citoyens répartis sur tout le territoire.»