Novethic – Le financement citoyen de la transition énergétique
Article de Philippe Chibani-Jacquot
Alors que le gouvernement prépare son projet de loi pour la transition énergétique, la question de son financement reste entière. Et si une partie de la solution venait d’un financement par les citoyens ? Dans le nord de l’Europe, c’est une situation courante. En France, cela commence tout juste à prendre. Mais le mouvement est bien là : deux ans après son lancement, le fonds d’investissement Énergie Partagée a réuni plus de 2,5 millions €.
Article à retrouver sur le site de Novethic
Pour l’heure, rien ne dépasse au-dessus des champs et bosquets aux abords de la commune de Béganne en Bretagne. Mais rendez-vous est pris pour le 12 mars 2014. Ce jour-là, la livraison et la levée des quatre éoliennes d’une puissance de 2 MW chacune annonceront l’aboutissement, après neuf ans de travail, d’un projet pionnier et fondateur d’un modèle citoyen de production d’énergies renouvelables. Les quatre éoliennes seront exploitées par la Société Bégawatt dont le capital de 2,7 millions € provient pour moitié de 780 habitants de Béganne (regroupés en 53 clubs d’investisseurs solidaires), auquel s’ajoute 450 000 € investis par le groupe des fondateurs [ref]450 000 € pour les fondateurs ; 1,4 million € pour les clubs d’investisseurs locaux, 300 000 € pour le fonds régional Eilan ; 50 000 € de la part d’entreprises de l’économie sociale et solidaire locale et 500 000 € apportés par le fonds d’investissement Energie partagée.[/ref]. « Au départ de la souscription, il fallait organiser des réunions privées, car nous n’avions aucun visa de l’AMF, raconte Michel Leclercq, l’un des fondateurs. On appelait ça des réunions Tupperwatt ! »
Lier l’investissement au projet
Dans la foulée des pionniers de Béganne et d’autres projets équivalents, le fonds d’investissement Énergie partagée s’est créé en 2010 pour se doter d’un outil de financement efficace. Son objectif est d’agréger au niveau national les particuliers prêts à investir dans la transition énergétique, que ce soit pour des parcs éoliens, des fermes solaires, des programmes d’efficacité énergétique… Issu des cercles militants de l’économie solidaire et des mouvements pour la transition écologique, Energie Partagée a convaincu 3 000 personnes d’investir 6,2 millions € dans son capital via deux offres publiques de titres financiers (OPTF) en 2012 et 2013. Depuis son lancement, Énergie Partagée a soutenu la réalisation de 7 projets (4 toitures photovoltaïques, 2 parcs éoliens, 1 projet de micro-chaufferies bois), dont Bégawatt (500 000 €, soit l’investissement maximum) et 30 sont en cours d’instruction. « Une carte des projets candidats à notre fonds permet à chaque souscripteur de flécher sa participation sur l’un de ses projets », explique Marc Mossalgue, coordinateur du fonds. L’OPTF est une démarche lourde puisqu’elle demande d’instruire un agrément auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Toutefois pour Marc Mossalgue, « c’est un gage de sérieux. C’est important, tout comme le label Finansol que nous avons pour créer la confiance. »
Des investisseurs engagés et classiques intéressés
Le fonctionnement d’Énergie Partagée se démarque ainsi des sites de crowdfunding qui proposent à l’internaute de prêter ou investir son épargne « en trois clic », en sélectionnant le projet qui les séduit via une plateforme internet. Alléger les procédures, comme le demande l’association Finance participative France, est nécessaire, tout comme le développement de plateformes web, mais « nous ne souhaitons pas tomber dans l’investissement facile, sans lien entre l’investisseur et le projet », précise M. Mossalgue.
Le modèle de proximité et de participation porté par ces outils citoyens dont la taille reste marginale intéresse toutefois aussi les investisseurs classiques. « A partir du moment où l’on constate que la production d’énergie verte peut avoir des retombées économiques locales, que cela permet une proximité avec le consommateur final et à un coût compétitif à terme – ce qui est le cas de l’éolien – c’est une opportunité à ne pas rater », estime Serge Savasta, responsable « Énergie renouvelable » chez Omnes Capital [ref]Omnes capital est une société de gestion de capital investissement spécialisée dans l’accompagnement des PME, anciennement rattachée au Crédit Agricole.[/ref]société de gestion des fonds communs de placement à risque Capenergie (240 millions € d’encours) spécialisé sur les énergies renouvelables depuis 2006. « Favoriser, par une réglementation adaptée, un financement plus participatif permettrait de faire comprendre à chacun qu’il a un intérêt à voir se multiplier les sources locales de production et améliorer ainsi l’acceptabilité social des projets ». Car qui dit acceptabilité sociale, dit accélération des opérations d’investissement.