[Interview] Laurence Boubet, présidente des Centrales Villageoises Soleil Sud Bourgogne
Parce qu’une des manières de monter un projet est de s’inspirer de ceux déjà existants, Énergie Partagée a interrogé des personnes impliquées dans la production d’énergie renouvelable citoyenne, afin qu’elles partagent leur expérience pour en faire profiter les projets émergents.
Laurence Boubet est présidente des Centrales Villageoises Soleil Sud Bourgogne, créées début 2018 pour contribuer à la production d’énergies renouvelables dans le Macônnais.
Peux-tu présenter les Centrales Villageoises Soleil Sud Bourgogne ?
Au départ, c’est la déception suite à la COP 15 de Copenhague qui a poussé à la création d’une association pour la production d’énergies renouvelables locales et citoyennes dans le Mâconnais, en 2012 : si rien ne se faisait au niveau national ou international, alors il fallait le faire au niveau local.
Nous voulions agir face aux enjeux climatiques et contribuer concrètement à la production d’énergies renouvelables. On a commencé par soutenir des projets éoliens, qui ont échoué face à la montée en puissance des anti-éoliens. On a alors choisi de se tourner vers le photovoltaïque, et de rejoindre le réseau des Centrales Villageoises, en créant début 2018 une société par actions simplifiée, les Centrales villageoises Soleil Sud Bourgogne (CVSSB).
On a réalisé rapidement un premier lot de quatre toitures de 9 kWc, dont les deux dernières ont été mise en service début 2019 puis, pour équilibrer nos comptes, nous avons prospecté de plus grandes toitures et finalisé l’installation d’une centrale de 36 kWc sur un bâtiment appartenant à la Chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, mise en service début 2022.
Courant 2022, devrait également aboutir l’équipement d’un ancien bâtiment des chemins de fer, que la ville a racheté et rénové pour y accueillir la maison de l’enfance et de la jeunesse du Clunisois. L’installation devrait également avoir une puissance de 36 kWc environ.
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Quelles sont vos perspectives pour la suite ? Est-ce que vous rencontrez des obstacles ?
Malgré le gros travail de prospection de toitures que nous avons fait, peu de pistes se concrétisent. On a dû mettre un peu de côté les collectivités locales car avec le plan de relance économique national, elles bénéficient de subventions souvent conséquentes, avec lesquelles elles peuvent réaliser des projets photovoltaïques, sans faire appel à nous. Mais peut-être va-t-on trouver des possibilités du côté du conseil départemental, c’est à creuser.
Au départ, on évitait de prospecter les agriculteurs, pour ne pas entrer en concurrence avec les dispositifs non citoyens permettant par exemple d’équiper des hangars ; il nous reste donc les entreprises, mais qui elles aussi commencent à bénéficier d’aides et d’incitation à l’énergie verte. Pas facile de trouver notre place dans tout cet écosystème !
L’avenir se trouve peut-être dans l’autoconsommation, il existe déjà des aides pour les particuliers. Pour la collectivité, l’idéal est d’équiper les EHPAD, car il y a du monde toute l’année, contrairement aux écoles qui sont fermées l’été, au moment où la production est optimale ! Dans les EHPAD, les besoins sont constants, avec la climatisation les mois les plus chauds.
Quels sont selon toi les points forts des Centrales Villageoises Soleil Sud Bourgogne ?
Notre point fort est clairement notre Conseil de Gestion : c’est sans doute classique, mais nous sommes une équipe composée de personnes diverses, d’âge varié (de la quarantaine à la soixantaine), avec des compétences et des disponibilités différentes, qui au final se complètent bien. Nous sommes 7, et les deux dernières recrues ont apporté des idées neuves, de nouvelles façons de faire. Même si nous avons des engagements ailleurs, dans d’autres structures, on passe beaucoup de temps pour CVSSB.
Ça nous arrive de nous friter, d’avoir des échanges un peu vifs car une vision des choses différente, mais c’est une équipe qui fonctionne vraiment bien. Quand il y des tensions, on trouve des modalités pour les résoudre !
As-tu un exemple d’une situation où vous vous êtes retrouvés en risque de conflit ?
On met beaucoup d’énergie ces derniers temps sur un projet d’installation sur une stabulation, pour lequel la banque n’avait pas suivi le propriétaire de la toiture, à cause du coût de raccordement élevé. On s’est retrouvé en concurrence avec d’autres acteurs, et on a réfléchi au moyen de faire une offre plus intéressante à l’agriculteur.
Notre équipe s’est divisée sur ce point : trois d’entre nous considéraient que l’enjeu était gros, que ce projet triplerait notre puissance totale installée et qu’il fallait proposer un loyer maximum. D’autres freinaient des quatre fers et le débat s’est tendu. Dominique, qui de par son parcours a acquis des compétences de négociateur, s’est proposé comme médiateur ; il a passé un temps fou au téléphone avec tout le monde, et nous sommes arrivé·e·s à un consentement (même pas un consensus !) mutuel. C’est précieux !
On ne se connaissait pas forcément tou·te·s au départ mais il y a vraiment au sein de notre groupe une appréciation mutuelle, une reconnaissance et un respect de ce que chacun·e a envie d’apporter. C’est cette bienveillance qui permet de mettre de l’huile dans les rouages.
"Le mouvement climat a déteint sur celui des énergies renouvelables, et les jeunes femmes commencent à s’investir dans les problématiques énergétiques aussi."
En tant que femme, quel parcours t’a menée vers ce projet ?
Ça fait très longtemps que je m’intéresse aux questions d’énergie, depuis toute petite (j’ai 61 ans). À l’adolescence, j’étais farouchement opposée à la peine de mort et au nucléaire, j’ai longtemps milité à Amnesty International, et l’engagement antinucléaire m’est resté, je vivais dans le Nord avec la centrale de Gravelines. Quand je me suis intéressée au domaine de l’énergie, j’ai rencontré un milieu très masculin, dans les Centrales Villageoises aussi, souvent ce n’est pas paritaire.
Mais c’est en train d’évoluer, l’engagement autour des enjeux pour le climat est extrêmement féminin, je ne sais pas pourquoi. J’ai beaucoup suivi le mouvement Alternatiba, que j’ai coordonné localement, et sur les cinq dernières années, ça s’est vraiment féminisé, même si les initiateurs historiques sont des hommes. On y trouve maintenant une plus grande parité, comme dans Extinction Rebellion et Youth for climate. Le mouvement climat a déteint sur celui des énergies renouvelables, et les jeunes femmes commencent à s’investir dans les problématiques énergétiques aussi.
Selon ton expérience, est-ce que l’implication des femmes change la manière dont se font les projets citoyens ?
Je pense que la présence des femmes change un peu les choses, ça limite les égos, les enjeux de pouvoir. Je suis présidente pas pour être présidente mais parce que je pense avoir développé des compétences d’animation d’un collectif. Chez un homme, la motivation est peut-être différente. Dans notre équipe, c’est un homme qui a joué les médiateurs mais je pense quand même que globalement, les femmes fluidifient les fonctionnements et limitent les enjeux de pouvoir.
Anciennement, quand les milieux étaient plus masculins, les situations conflictuelles étaient plus compliquées à gérer. L’égo et le pouvoir polluent vraiment les collectifs. Il y a bien sûr aussi des femmes assoiffées de pouvoir et qui font tout pour acquérir une situation car cela correspond à un besoin mais c’est plus généralement le fait d’hommes.
Notre Conseil de Gestion est composé de 4 hommes et 3 femmes, c’est équilibré. Et « nos » hommes sont bien ! Au sein de notre groupe, je n’ai jamais été confrontée à une difficulté du fait d’être une femme, contrairement à ce que j’ai pu vivre dans ma vie générale, dans mon parcours professionnel ou syndical.
Soutien financier
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