Les retraites : une charge pour la société… ou un gisement d’énergie citoyenne ?
La réforme des retraites proposée par le gouvernement présente les retraités comme un coût pour la société. Or, leur utilité sociale, quoique peu mesurée, est immense. C’est notamment vrai dans le bénévolat et, à notre échelle, dans le mouvement des énergies renouvelables citoyennes.
L’utilité sociale des retraités : on en parle ?
Le débat public sur la réforme des retraites se polarise essentiellement autour de deux questions : la situation financière du régime de retraite justifie-t-elle la réforme ? les modalités de celle-ci sont-elles socialement justes ?
Pourtant, une dimension tout aussi importante de la question est bien moins souvent mise en lumière : l’utilité sociale des personnes retraitées.
Réfléchissons-y un instant : chacun·e peut trouver dans son entourage un exemple éloquent de l’apport des retraité·es à la société. Garde des petits-enfants après l’école et pendant les vacances, rôle d’aidant auprès des personnes âgées en perte d’autonomie, bénévolat dans les associations… Ces multiples engagements sont des points d’appui structurants de notre tissu social.
« Les retraités sont des actifs de conviction, d’utilité sociale collective […] Sans eux, pas de société. Cette invention d’un après-midi de la vie sociale liée à l’augmentation du temps à la retraite est féconde pour inventer une société de la longévité solidaire et durable pouvant répondre aux défis démographiques mais aussi écologiques. »
Est-ce parce que l’utilité sociale des retraité·es se manifeste essentiellement dans la sphère non-marchande qu’elle est peu étudiée, et peu prise en compte dans le débat public ? Et si l’on évaluait l’équivalent marchand des services rendus bénévolement à la collectivité par les retraités, à combien de dizaines ou centaines de milliards d’euros arriverait-on ?
51 milliards d’euros : ce que coûterait le bénévolat associatif s’il était rémunéré
En 2021, une première mesure globale de l’activité contributive des Français·es a été produite au terme d’un processus de recherche par “Contributive” (1), une initiative portée par un collectif citoyen indépendant, qui vise à faire reconnaître l’activité contributive et à soutenir les citoyens comme acteurs de la transition.
Selon cette étude, le bénévolat associatif (2) représentait en 2017 plus de 2,2 milliards d’heures d’activité, soit 1,4 million d’ETP (équivalents temps plein) qui auraient coûté 51,1 milliards d’euros au salaire associatif médian (inférieur au salaire médian de la population active générale).
De plus, il faut garder à l’esprit que le bénévolat en association ne représente qu’une fraction de l’activité contributive non-marchande des Français·es, comme le montre cette infographie :
Les retraités : des forces vives du tissu associatif
Laissons de côté une majorité du champ des activités contributives. À lui seul, le secteur associatif, réunissant des bénévoles mais aussi des millions de salarié·es, contribue massivement à l’emploi et à la richesse économique, ainsi qu’à la richesse humaine et écologique de la société.
Et une chose est certaine : les retraité·es représentent des forces vives essentielles au monde associatif (sans même parler du bénévolat “direct”, hors de toute structure, également investi par les séniors). Une personne retraitée sur trois est bénévole dans une association !
Comme le montre l’étude “La France bénévole” de 2022, 24 % des 65-69 ans, 32 % des 70-74 ans et 27 % des 75-79 ans ont une implication associative. Toutes classes d’âges confondues, les retraité·es sont les catégories les plus engagées dans le “bénévolat formel”.
De surcroît, de nombreuses associations ne pourraient ni agir, ni perdurer, sans l’engagement durable et hebdomadaire d’un petit nombre de bénévoles, qu’on pourrait qualifier de “noyau dur” ou “groupe moteur”.
Or, les retraité·es (65 ans et plus) sont largement sur-représenté·es dans cette forme d’engagement vitale pour le tissu associatif. Et ce malgré une forte baisse de l’engagement bénévole des séniors depuis le début de la pandémie de covid (à 50 % du fait de l’interruption des actions associatives, et également dans le but de se protéger de la contamination par le virus), d’après le baromètre 2022 de France Bénévolat.
Comme le constate France Bénévolat : « Les jeunes retraités constituent en effet un groupe dont le temps disponible et l’état de santé favorisent un engagement bénévole nettement au-dessus de la moyenne. »
Dans son baromètre 2019, France Bénévolat constatait déjà une baisse régulière de l’engagement associatif des séniors (50-64 ans / 65 ans et plus), passé de 37 % en 2010 à 31 % en 2019. Pour France Bénévolat, cette baisse serait due en particulier :
- aux difficultés accrues de fin de carrière, qui engendrent un besoin de souffler,
- à la nécessité de se consacrer à sa famille (avec des parents qui vivent plus âgés),
- à la pratique croissante du cumul emploi / retraite, avec la nécessité pour un nombre croissant de retraités de travailler, au moins un peu,
- à l’augmentation de l’âge du départ à la retraite, passé de 61,7 à 63,3 entre 2010 et 2017 (si on ne tient pas compte des départs anticipés).
Trois de ces quatre hypothèses ont directement à voir avec le travail et l’extension de sa durée. La quatrième est en prise notamment sur l’espérance de vie en bonne santé (enjeu de l’autonomie des personnes âgées), qui elle-même est liée à la durée et la pénibilité du travail.
On peut présager que tout allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein aura un effet négatif sur l’engagement bénévole des séniors.
Reportage de France Culture : la réforme des retraites va-t-elle créer une pénurie de bénévoles ?
Le 13 janvier 2023, le journal de 8h de France Culture consacrait un reportage de quelques minutes à cette question :
Les retraités et les projets citoyens d’énergie renouvelable
Sur le terrain, nous le constatons tous les jours : on compte beaucoup de séniors, et particulièrement de retraité·es, au nombre des chevilles ouvrières qui animent et constituent au quotidien les “groupes moteurs” des projets citoyens d’énergie renouvelable.
Mener à terme un tel projet ne peut pas reposer uniquement sur des modalités d’engagement de durée relativement limitée (quelques mois) ou d’intensité modérée (quelques heures par mois, éventuellement par semaine), qui sont, d’après les études générales sur le bénévolat, prévalentes chez les moins de 50 ans.
Des bénévoles doivent y consacrer un temps substantiel, très régulier et dans la durée. Dans de nombreux cas, ce sont des retraité·es qui apportent cette capacité à suivre et travailler les dossiers au quotidien, à interagir en journée avec les salarié·es des structures partenaires (collectivités, développeurs privés, institutions, …), à s’engager dans la durée sur un même projet à un même endroit.
De plus, les retraité·es apportent aux projets bien plus que leur temps et leur énergie : des compétences professionnelles développées tout au long d’une carrière, un précieux réseau local et professionnel, une capacité, en partie forgée par l’âge, à rester engagé·e dans la durée malgré parfois des difficultés ou des freins importants (obstacles administratifs, techniques, économiques, …).
Pour Patrick Gèze, co-fondateur et co-président de la coopérative citoyenne d’énergie renouvelable Enercit’IF, le constat est clair : « L’engagement des jeunes retraités est assez déterminant pour pas mal de projets citoyens d’énergie renouvelable, on le voit bien dans le réseau francilien. C’est la complémentarité entre des retraités qui inscrivent leur implication dans le temps long et des actifs de tous âges qui fait la richesse et la pérennité de ces dynamiques bénévoles. » C’est grâce à une telle complémentarité qu’Enercit’IF, la 1ère coopérative d’énergie renouvelable à Paris, a réussi à mettre en service 15 toitures photovoltaïques dans la capitale depuis ses prémisses en 2016 et la création de la coopérative en 2018.
« C’est la complémentarité entre des retraités qui inscrivent leur implication dans le temps long et des actifs de tous âges qui fait la richesse et la pérennité de ces dynamiques bénévoles. »
Un autre exemple ? Au printemps 2023, le parc photovoltaïque Solaris Civis sera mis en service à Ventabren dans les Bouches-du-Rhône. Voilà 10 ans que le projet est mené par un groupe d’habitants de la commune et alentour, en majeure partie constitué de retraités, à commencer par William Vitte, président de l’association Ventabren Demain et du projet.
Ce projet exemplaire allie production d’énergie solaire sur une zone enclavée entre une autoroute et une ligne TGV, transplantation et remise en culture de centaines d’oliviers qui étaient à l’abandon. Ce parc photovoltaïque citoyen aurait-il pu voir le jour sans l’énergie et le dynamisme de ces retraités porteurs de projet ? Réponse simple : non.
Si “Notre Temps”, le magazine dédié aux séniors, a décerné un prix “Héros de notre temps” à Énergie Partagée en 2022, c’est largement grâce à ces “héros qui donnent de leur temps” : les retraité·es.
Alors, si on considérait plutôt la retraite comme une richesse et un gisement d’ “énergie citoyenne” dont il faut prendre soin ?
Notes :
(1) Il existait déjà des évaluations partielles, hétérogènes dans leurs méthodes, contestables dans leurs hypothèses d’équivalence salariale au rabais.
(2) Plus exactement, le “bénévolat formel”, effectué au sein d’une structure, généralement une association. L’étude de l’initiative {contributive}, comme le Baromètre du bénévolat de France Bénévolat, le distingue du “bénévolat informel” ou “bénévolat direct”, qui s’exerce hors de toute structure.
[Débat] La réforme des retraites fragilise-t-elle le bénévolat ?
Le 13 février, France Culture conviait pour en débattre Dan Ferrand-Bechmann (sociologue), Marlène Schiappa (secrétaire d’État à l’ESS et vie associative) et Henriette Steinberg (Secours Populaire).
[Analyse] Réforme des retraites : quel impact sur le bénévolat ?
Andréa Gourmelen (Université de Montpellier) et Ziad Malas (Université de Toulouse III – Paul Sabatier) se sont penchés sur le sujet pour « The Conversation » en 2020. Un article toujours d’actualiôté !
[Entretien] Les retraités : une richesse pour la France ?
Dans cet entretien, la sociologue Mélissa Asli-Petit évoque les enseignement de ses travaux qui ont fait l’objet du livre « Les retraités : une richesse pour la France ? » paru en 2016.